Motivation totale : l’art subtil de la motivation au travail

By | 31 mars 2020

La motivation au travail est essentielle pour assurer une performance durable et un niveau d'innovation élevé dans l'entreprise.

Nous sommes tous admiratifs devant les résultats obtenus dans des entreprises phares comme Google ou Apple.

La motivation des salariés y est palpable.

Il est arrivé par exemple que certains employés de Google ne sortent pas du GooglePlex pendant plusieurs semaines tellement ils s'y sentaient bien.

Du côté d'Apple, les employés vénèrent quasi-religieusement l'élan visionnaire insufflé par le fondateur Steve Jobs.

Suffirait-il alors d'être aux petits soins avec ses employés comme chez Google, ou d'être dirigé par une personnalité magnétique digne de Steve Jobs pour enflammer la motivation des salariés ?

En vérité, la motivation au travail est bien plus subtile que ça.

Il existe même une science de la motivation pour expliquer les bons résultats obtenus dans ces entreprises.

Cette science est un peu contre-intuitive mais les résultats sont bien démontrés.

Et en appliquant les stratégies issues de cette science, il est possible de générer un haut niveau de motivation en partant de zéro.

L'idée est de construire une culture d'entreprise capable d'inspirer la motivation au travail.

Dans cet article, vous allez découvrir ces stratégies au travers du concept de Motivation Totale introduit par Neel Doshi et Lindsay McGregor dans leur livre Primed to Perform.

Vous allez apprendre :

  • Quels sont les 6 facteurs de la motivation totale
  • Comment mesurer l'indice de motivation totale des employés de votre entreprise
  • Quels sont les plus grands fléaux de la motivation au travail
  • Ainsi que les bonnes pratiques pour bâtir une culture d'entreprise propice à un haut niveau de motivation.

L'article est long, mais si vous désirez améliorer la motivation et les performances des employés au travail, il vaut bien le coup de s'y attarder.

Pour vous donner une idée, en 12 ans d'existence du blog, je n'avais jamais encore découvert un livre aussi convainquant et pratique sur la motivation au travail.

Je vous souhaite une bonne lecture...

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1. Comment mesurer la motivation au travail ?

1.1. Les questionnaires de satisfaction du personnel

Tout d'abord, intéressons-nous à l'existant.

Comme le dit le dicton, "tout ce qui est mesurable est améliorable".

D'où l'idée de mesurer la motivation.

Comment fait-on dans une entreprise pour sonder la motivation des salariés ?

Généralement, le département des ressources humaines fait circuler un questionnaire de satisfaction des employés.

Mais un tel questionnaire ne permet pas d'avoir une idée précise sur ce qu'il faut améliorer dans l'entreprise pour augmenter la motivation.

L'idée est que la satisfaction ou encore l'engagement des employés sont des produits de la motivation, et non l'inverse.

C'est pourquoi il nous faut trouver un moyen plus direct de mesurer la motivation au travail.

1.2.  Les 6 facteurs de motivation des employés

Mais avant de la mesurer, savez-vous qu'est-ce que la motivation ?

Personnellement, j'apprécie la définition de la motivation de Edward L. Deci.

Sa définition est la suivante : "la motivation est ce qui énergise notre comportement".

Le professeur Edward L. Deci étudie la science de la motivation depuis les années 70.

Et avec son confrère Richard M. Ryan, ils ont formulé en 1985 la théorie de l'autodétermination, une théorie de la motivation qui fait la part belle à la motivation intrinsèque, un type de motivation très puissant.

Comme cette théorie utilise beaucoup de jargon académique, les auteurs Neel Doshi et Lindsay McGregor ont reformulé les 6 facteurs de motivation qui la composent.

Les voici...

1.2.1. Les facteurs de motivation directs

Les facteurs de motivation directs sont les plus proches de l'activité elle-même.

Ce sont les facteurs les plus désirables car ils sont corrélés à une haute performance.

1.2.1.1. Le jeu

Le tout premier facteur de motivation est le jeu, également appelé motivation intrinsèque dans la théorie de l'autodétermination.

C'est ce qui vous engage dans une activité simplement pour le plaisir de l'activité elle-même.

Le travail lui-même est sa propre récompense.

Vous utilisez par exemple ce facteur de motivation à la salle de gym, si vous essayez par curiosité de nouveaux exercices, quand vous notez précieusement vos résultats sur votre journal d'entraînement, ou encore quand vous adaptez votre nutrition à vos efforts physiques.

Au bureau, ce sera le fait d'expérimenter une nouvelle manière de travailler, d'acquérir de nouvelles connaissances, ou encore de brainstormer avec les collègues pour résoudre un problème épineux.

Attention, le "jeu" au travail ne doit pas être confondu avec le jeu en dehors du travail. Par exemple, si vous jouez au babyfoot ou au ping-pong à la pause de 10 heures, ce n'est pas un facteur de motivation intrinsèque car l'activité est externe au travail.

1.2.1.2. La finalité

Eloignons-nous légèrement de l'activité elle-même : nous obtenons la motivation par la "finalité" de l'activité.

La finalité est le résultat final du travail accompli.

Une infirmière n'est peut-être pas motivée par ses activités journalière, mais peut exercer son métier parce qu'elle ressent au fond d'elle que sa mission est de guérir les patients.

Vous utilisez la motivation par la finalité quand vos valeurs et croyances sont alignées avec l'impact de votre travail.

Cette notion se rapproche également du sentiment d'appartenance, les employés se sentant réunis autours d'une entreprise dont l'identité forte est constamment démontrée par les salariés.

Attention, la finalité doit être authentique. Si elle n'est pas crédible, elle n'améliore pas la motivation.

1.2.1.3. Le potentiel

Le potentiel est le troisième facteur de motivation direct au travail.

Il intervient quand vous trouvez dans votre travail une source de motivation secondaire (comparé à la finalité) qui s'aligne avec vos valeurs et croyances.

Typiquement, vous êtes motivé parce que l'activité vous permet de réaliser certains de vos objectifs personnels.

Par exemple, peut-être que vous travaillez dans un studio d'enregistrement parce que vous pensez que c'est une bonne façon de percer un jour dans le monde de la musique.

Vous n'êtes pas forcément passionné par la tâche (régler des potentiomètres sur la console de mixage), ni par la finalité (aider un artiste à réaliser le meilleur enregistrement possible), mais vous pensez que ça va vous aider dans votre carrière.

Vu que ce facteur de motivation s'éloigne d'un pas de plus de l'activité elle-même, il est le plus faible des facteurs de motivation directs.

1.2.2. Les facteurs de motivation indirects

Passons aux facteurs de motivation indirects.

Ce sont des facteurs où l'activité elle-même n'est plus la raison pour laquelle vous travaillez.

Il est important de les reconnaître pour pouvoir les minimiser dans l'entreprise.

1.2.2.1. La pression émotionnelle

La pression émotionnelle intervient quand vous travaillez en raison d'un sentiment de déception, de culpabilité ou de honte.

Ces sentiments peuvent être provoqués par vos croyances (perception de soi-même) ou bien par des forces externes (le jugement des autres).

L'exemple typique est de jouer au piano ou de pratiquer le karaté pour faire plaisir à ses parents.

Une pression émotionnelle excessive cause souvent des problèmes de créativité, tels que le syndrome de la page blanche ou la peur de parler en public.

1.2.2.2. La pression économique

La pression économique intervient quand vous réalisez une tâche uniquement pour obtenir une récompense ou éviter une punition.

Ce facteur de motivation est encore plus indirect car il est à la fois séparé de la tâche elle-même et de votre identité.

Vous utilisez ce facteur de motivation lorsque vous cherchez à obtenir un bonus ou une promotion, si vous souhaitez éviter d'être licencié ou d'être la cible d'un chef en colère.

A noter que ce facteur de motivation n'est pas forcément lié à l'argent.

Si vous êtes suffisamment motivé par un facteur direct, l'argent ne compromettra pas votre performance à long terme.

1.2.2.3. L'inertie

Enfin, l'inertie est le facteur de motivation le plus distant de l'activité elle-même.

Tellement distant que vous ne pouvez plus dire quelle est la source de votre motivation.

Vous faites simplement ce que vous faites par habitude, parce que vous êtes venu travailler la veille, et l'avant-veille.

Ce type de motivation aboutit à la pire des performances possibles.

Par exemple, imaginez un étudiant qui continue ses cours juste pour finir son année.

1.3. L'impact sur la performance

1.3.1. Le "pourquoi" influence le "comment"

Pourquoi ces 6 facteurs sont-ils si importants ?

Simplement parce qu'ils déterminent la performance de l'entreprise.

Le "pourquoi" influence le "comment".

Les facteurs de motivation directs sont corrélés avec une augmentation de la performance et les facteurs indirects tendent à démotiver les travailleurs.

Mieux que ça : ces différents facteurs forment un continuum.

La source de motivation la plus bénéfique étant le jeu, tandis que la source de motivation la plus néfaste est l'inertie.

1.3.2. Une théorie ancienne et largement démontrée

Comme déjà mentionné, ces 6 facteurs proviennent de la théorie de l'autodétermination de Edward L. Deci et Richard M. Ryan.

Cette théorie a été introduite dans l'ouvrage de référence "Intrinsic Motivation and Self-Determination in Human Behavior" paru en 1985.

Depuis, l'ouvrage a été cité plus de 22 000 fois.

Une prouesse, quand ont sait que la moyenne du nombre de citations après 10 ans pour un ouvrage académique est de 10 en moyenne.

Depuis leur introduction, ces 6 facteurs de motivation ont été inlassablement mis à l'épreuve lors de myriades d'études, et les résultats de Deci et Ryan sont constamment vérifiés.

Ces résultats ne sont pas simplement valables dans le domaine du travail.

On les retrouve dans l'éducation, le sport ou encore la vie maritale.

1.3.3. Un premier essai spectaculaire

Neel Doshi et Lindsay McGregor ne se sont pas contentés de la littérature existante sur la théorie de l'autodétermination.

Ils ont fait eux-même leurs propres expérimentations.

Un de leurs premiers succès a été dans un centre d'appel, un type d'activité réputé pour son faible niveau de motivation.

Dans cette entreprise, les agents sont à longueur de journée au bout du fil, pour démarcher des clients intéressés par l'obtention d'un prêt.

Malgré les moqueries du management, ils ont fait le pari de transformer en travailleurs d'élite un groupe constitué des pires employés ainsi que de débutants complets.

Tout cela grâce aux préceptes de la théorie de l'autodétermination.

Les premières mesures ont été particulièrement choquantes pour les managers.

Pour diminuer la pression économique, les bonus à la performance ont été abolis et répartis de manière égale dans le salaire de base des divers employés.

Pour diminuer la pression émotionnelle, le système de gestion des performances a aussi été mis au rebut.

Pour augmenter la motivation par le jeu, les auteurs ont encouragé les agents à prendre des initiatives.

Pour cela, ils ont expliqué à l'équipe qu'ils avaient une marge de liberté dans leur travail.

Bref, les employés ont été encouragés à sortir des scripts pré-rédigés par le management pour mieux servir le client.

Chaque jour, un caucus d'équipe permettait de s'entraider sur les cas complexes.

Une permanence téléphonique a été spécialement mise en place pour valider les actions qui sortent des conventions établies.

Et chaque semaine, les employés assistaient à une réunion où ils avaient l'occasion de brainstormer avec les représentants de 3 niveaux de hiérarchie sur les solutions à apporter aux cas les plus épineux.

D'autre part, les managers ont sensibilisé les employés à la mission et aux valeurs de l'entreprise, pour améliorer la motivation par la finalité.

Au bout du compte, les résultats de cette expérience ont été exceptionnels.

L'enthousiasme des participants était palpable.

Et les performances ont été améliorées de 200% comparé à la performance initiale, sans net changement pour le groupe témoin.

1.4. La motivation totale : un questionnaire pour mesurer la motivation du personnel

Les résultats obtenus lors de l'expérience expliquée précédemment montrent qu'une culture d'entreprise qui privilégie les facteurs de motivation directs améliore la performance.

Mais les mutations nécessaires dans l'entreprise pour aboutir à ce résultat sont tellement éloignés des règles de management conventionnelles qu'il est difficile de justifier les moyens financiers et techniques pour les implémenter.

C'est pourquoi il était important de créer un outil de mesure des 6 facteurs de motivation.

Celui-ci a été baptisé : indice de motivation totale, et voici comment il fonctionne...

1.4.1. Facteur de motivation direct contre facteur de motivation indirect

Tout d'abord, cet indice de motivation tient compte de la première observation sur les motivateurs directs et indirects.

A savoir : quand on utilise un facteur de motivation direct, la performance a tendance à augmenter, tandis qu'un facteur de motivation indirect a tendance à la diminuer.

Du coup, dans notre mesure de l'indice de motivation totale, on va assigner une valeur positive pour les motivateurs directs, et négative pour les motivateurs indirects.

1.4.2. Un gradient de motivation

Deuxièmement, nous avions vu que les facteurs de motivation forment un gradient de motivation.

Le motivateur le plus puissant étant le jeu, et le plus nocif, l'inertie.

Tandis que les motivateurs du milieu sont progressivement moins impactant.

Pour refléter cette réalité, nous allons affecter un coefficient pour chaque facteur de motivation.

1.4.3. Comment calculer l'indice de motivation totale

Pour calculer l'indice de motivation totale, il ne nous reste plus qu'à créer un questionnaire qui interroge sur chacun des motivateurs.

Les coefficients exacts utilisés sont les suivants :

  • Pour le jeu : 10
  • Pour la finalité : 5
  • Pour le potentiel : 1.66
  • Pour la pression émotionnelle : - 1.66
  • Pour la pression économique : - 5
  • Pour l'inertie : - 10

Il y a donc 6 questions, dont vous pourrez trouver un exemple sur le site www.primedtoperform.com

Pour chacune, l'employé réponds avec un chiffre de 1 à 7.

1 pour "Pas du tout d'accord avec cette affirmation", jusqu'à 7 pour "Tout à fait d'accord avec cette affirmation".

Une fois que l'employé a répondu, on multiplie les coefficients par la réponse, et on fait la somme pour obtenir l'indice ToMo (indice de Motivation Totale).

L'indice obtenu est typiquement compris entre -100 et 100.

1.4.4. L'indice de motivation totale de l'entreprise

Pour mesurer l'indice de motivation totale d'une entreprise, il suffit donc de faire remplir le questionnaire à chacun des employés de la société.

Attention, pour que les réponses soient sincères, il faut que l'anonymat soit garanti, ou au minimum garantir la confidentialité des données.

Il est préférable également de mélanger l'ordre des questions.

Une fois que les employés ont répondu, on fait la moyenne de tous les indices de motivation individuels.

Plus l'indice est élevé, plus la culture d'entreprise est motivante pour les employés.

1.4.5. Un indice éprouvé

Doté d'un tel outil, nous pouvons maintenant faire quelques prédictions.

Par exemple, dans une expérience, un chercheur reconnu a demandé à des milliers d'étudiants pourquoi ils assistaient à leurs cours.

Est-ce que, d'après vous, la raison pour laquelle ils étudient joue un rôle dans les abandons d'étude ?

La réponse est oui.

Neel Doshi et Lindsay McGregor ont calculé que l'indice de motivation totale de ceux qui étudiaient encore un an plus tard était de 17, alors que celui de ceux qui ont abandonné était seulement 2.

Même chose avec les sportifs.

En mesurant la motivation totale de nageurs d'élite reconnus au niveau national, on constate que ceux qui abandonnent la compétition ont l'indice ToMo le plus faible (23) comparé à ceux qui persévèrent (48).

Une autre possibilité est de comparer l'indice de motivation totale de diverses sociétés face à ceux de leurs concurrents.

Là aussi, Neel Doshi et Lindsay McGregor fournissent des données concrètes.

Et dans 4 secteurs d'activité différents, on constate un meilleur indice de motivation totale pour les sociétés les plus charismatiques et les plus innovantes.

On peut citer par exemple : Starbucks, Apple Store, Nordstrom, Southwest airlines, et Whole Foods

Ces entreprises ne sont pas toutes connues en francophonie.

Mais elles figurent en bonne place dans les palmarès des sociétés américaines les plus admirées.

2. Les mécanismes de la motivation en entreprise

Maintenant que nous connaissons les 6 facteurs de la motivation et comment mesurer l'indice de motivation totale, quelle est l'étape suivante ?

Nous pourrions voir ensemble les différentes pratiques qui permettent d'améliorer l'indice de motivation totale dans une société.

Mais avant ça, voyons plus en profondeur les mécanismes sous-jacents permettant d'expliquer pourquoi les facteurs de la motivation totale sont si bien corrélés à la performance.

Ceci vous permettra de mieux apprécier les points dont nous parlerons dans la troisième partie, et surtout d'imaginer vos propres manières d'inspirer une culture d'entreprise motivante.

2.1. Les limites du management par le contrôle

Dans la première partie, je vous disais que les facteurs directs de motivation sont liés à une haute performance tandis que les facteurs indirects de motivation sont liés à une diminution de performance.

Comment expliquer cela ?

2.1.1. Productivité et créativité

Déjà, il faut voir de quoi on parle quand on mentionne la performance.

On croit souvent que la performance est synonyme de productivité.

Et on oublie l'impact de la créativité dans la performance.

Or, une personne très intelligente n'est pas forcément très créative.

Paul Terrance est le créateur d'un test de créativité souvent appelé "test de pensée divergente".

La batterie de tests inclue notamment le fait de trouver un grand nombre d'utilisations à un objet de la vie courante comme un parapluie ou une échelle.

Depuis les années 60, Terrance mène ces tests tous les 8 ans sur un échantillon d'individus suivis depuis leur enfance.

Et avec le temps, les chercheurs ont eu l'occasion de mesurer les accomplissements créatifs des enfants plus tard dans leur vie et de comparer cela aux tests réalisés.

Étonnamment, il y a une corrélation très nette entre les tests de pensée divergente des enfants et les accomplissements créatifs futurs à l'âge adulte.

Cette corrélation est bien plus forte que la corrélation du Quotient Intellectuel (QI).

De l'ordre de 3 fois plus élevée !

On voit donc bien que la pensée divergente est une capacité à part, qui stimule la créativité et donc l'innovation.

Autre expérience, sur des poètes cette fois.

Des chercheurs ont invité des poètes amateurs à venir composer.

Bien entendu, les poètes ne connaissent pas le but de l'expérience.

Ceux-ci sont divisés en 2 groupes.

Tout d'abord, les deux groupes de poètes commencent à écrire un premier poème.

Ce premier poème va servir à évaluer leur niveau de créativité de base.

Puis ils sont invités à un exercice où ils doivent ordonner différentes raisons pour lesquelles ils écrivent.

Mais cet exercice est truqué.

Un groupe doit ordonner une liste de motivateurs directs, tels que : "J'aime jouer avec les mots"

Tandis que l'autre groupe doit ordonner une liste de motivateurs indirects, tels que : "Mes parents et professeurs m'ont encouragé à écrire" ou "J'ai appris qu'un auteur de poèmes a succès est devenu indépendant financièrement".

Ce dispositif est en fait un stratagème d'amorçage pour manipuler temporairement les motivations des participants.

Suite au questionnaire, les poètes reprennent leur activité d'écriture.

Une fois que les poèmes ont terminé, ceux-ci sont évalués par 12 juges.

Ces juges sont des poètes eux-même qui ne connaissent pas les détails de l'expérience.

Comme vous pouvez l'imaginez, on s'aperçoit que les oeuvres du groupe de poètes qui ont reçu la liste de motivateurs directs sont plus créatives que celles du groupe exposé aux motivateurs indirects.

Ce qui prouve que les motivateurs indirects réduisent la créativité, tandis que les motivateurs directs l'améliorent.

A noter que par acquis de conscience, les chercheurs ont ensuite fait lire au groupe exposé aux motivateurs indirects la liste des motivateurs directs, au cas où l'exercice aurait des impacts durables sur leur motivation.

2.1.2. Performance tactique et performance adaptative

Voyons maintenant comment se manifeste la pensée divergente dans le monde de l'entreprise...

Pour distinguer la performance liée à la pensée classique et la performance liée à la pensée divergente, les auteurs Neel Doshi et Lindsay McGregor identifient 2 types de performance :

2.1.2.1 La performance tactique

La performance tactique est le type de performance le plus connu.

Il désigne la capacité à suivre un plan.

Une capacité très bien maîtrisée dans le management traditionnel.

On utilise la performance tactique :

  • Quand on se donne des objectifs à atteindre, comme par exemple, une augmentation de 10% du chiffre d'affaire.
  • Quand on crée un système de mesure des performances, par exemple, des vendeurs par téléphone qui doivent passer 15 minutes en moyennes avec le client et réaliser 5 ventes chaque jour.
  • Quand on installe un tableau de bord sur le mur pour faire le suivi de la performance en temps réel.

Ici, nous sommes dans le monde de la productivité et du contrôle.

2.1.2.2 La performance adaptative

La performance adaptative au contraire encourage à diverger du plan.

Elle est très utile quand il faut s'adapter à des situations nouvelles.

Dans l'armée américaine, le sigle VUCA désigne 4 caractéristiques de situations qui nécessitent la performance adaptative :

  • V pour Volatilité
  • U pour Incertitude (uncertainty en anglais)
  • C pour Complexité
  • A pour Ambiguïté

Ici, nous sommes dans le monde de la pensée divergente et de la créativité.

2.1.3. Pourquoi le management traditionnel privilégie la performance tactique

Malheureusement, aujourd'hui, la performance adaptative est beaucoup moins valorisée comparé à la performance tactique. Et cela pour plusieurs raisons ...

2.1.3.1 Difficultés à mesurer la performance adaptative

Tout d'abord, il est difficile de mesurer la performance adaptative.

Par exemple, une séance de brainstorming peut aboutir à une idée intéressante.

Et cette idée sera peut-être raffinée et croisée avec d'autres idées à maintes reprises avant d'aboutir à une innovation majeure.

Ici, il est simplement impossible de déterminer quelle est la part de contribution de chaque personne dans cette innovation majeure.

D'autre part, lorsqu'on se sent mesuré, la créativité diminue.

C'est ce qu'on appelle "la distraction", et nous en reparlerons dans quelques paragraphes.

Retenez simplement ici que la performance adaptative est difficile, voire impossible à mesurer.

Ce qui explique notre penchant naturel pour le management de la performance tactique plutôt que la performance adaptative.

2.1.3.2. Une tradition managériale

D'autre part, nous sommes les héritiers d'une longue tradition managériale centrée sur la performance tactique.

Au cours du siècle passé, nous avons affiné l'art de la performance tactique "ad nauseam".

Et nous disposons aujourd'hui d'une large palette d'outils pour contrôler la performance tactique, tels que des plans, objectifs, indicateurs de rendement, listes de contrôle, tableaux de bord et autres procédures.

Le phénomène est même exacerbé par l'essor de l'informatique, qui permet de traiter toujours plus de données.

Par exemple, nous manipulons des logiciels de gestion de projet, nous remplissons des feuilles de temps, utilisons des todo listes, qui aboutissent à toutes sortes de rapports.

Avec toutes ces possibilités, il est simplement trop tentant de mettre l'emphase sur la performance tactique.

2.1.3.3. Des gains marginaux

Enfin, comme il est facile de mesurer la performance tactique, il est facile de l'optimiser.

Par exemple, on peut créer un script à lire pour un vendeur, afin qu'il utilise une technique de vente éprouvée et standardisée, et mesurer l'impact sur la durée des appels et le nombre des ventes.

Ceci va probablement donner des gains sur ces indicateurs de mesure.

Mais ces gains seront marginaux comparé à une compréhension profonde du client, qui pourrait mener à une nouvelle idée de produit innovante.

De plus, optimiser un indicateur aboutit souvent à diminuer un autre indicateur.

Combien de clients seront partis chez le concurrent parce qu'ils avaient l'impression qu'on ne les écoutait pas, ou pire : qu'on leur lisait un texte ?

Les indicateurs de mesure permettent peut-être de soutirer les derniers gains d'efficacité d'un process existant.

Mais lorsqu'il s'agit d'innover en trouvant des moyens authentiques de fidéliser la clientèle ou d'attaquer un nouveau marché juteux, ils pâlissent face à la performance adaptative.

2.1.4. Les 3 dysfonctionnements de la performance tactique

Voyons maintenant ce qui se passe au niveau psychologique lorsqu'on met trop l'emphase sur la performance tactique.

Comme vous l'imaginez, la performance tactique est typiquement obtenue grâce à des facteurs de motivation indirects.

Par exemple :

  • Obtenir un bonus si on atteint tel objectif (pression économique)
  • Obtenir un avertissement si on fait trop d'erreurs (pression émotionnelle)
  • Etc

L'embêtant, c'est que ce genre de management provoque toutes sortes de dérèglements psychologiques.

2.1.4. La distraction

Premièrement, la distraction.

Intuitivement, on a tendance à penser qu'une personne à qui on promet une récompense en cas de succès sera plus performante qu'une personne qui n'obtiendra aucune récompense dans tous les cas.

Et cela est parfois vrai.

Par exemple, une personne qui doit taper deux lettres alternativement au clavier tapera plus de lettres si elle le fait pour une récompense, que si elle le fait sans possibilité de récompense.

Ici, la récompense fonctionne bien parce que nous avons une tâche mécanique, où la personne n'a pas trop besoin de réfléchir.

Par contre, la récompense provoque l'effet inverse pour une tâche intellectuelle exigeante.

Par exemple : résoudre des casse-têtes ou des problèmes mathématiques.

Pourquoi la performance diminue-t-elle ?

Il se trouve que l'individu est "distrait" par la perspective de récompense.

Il ne peut donc pas focaliser toute ses capacités sur la tâche, et ses performances diminuent.

A noter qu'on obtient le même effet si au lieu de faire miroiter une récompense, on met la personne au milieu d'une salle, observée par plusieurs personnes (pression émotionnelle).

2.1.5. L'annulation

Passons maintenant à l'annulation.

Cette fois, l'expérience est réalisée chez des jeunes sujets de 3 ans.

Dans une salle, un enfant joue à un jeu très prenant tandis qu'un adulte réalise des pliages en papier sur son bureau.

De temps en temps, l'adulte fait tomber un papier, et essaye désespérément de l'attraper du haut de son bureau mais n'y arrive pas.

Quelle est la réaction de l'enfant d'après vous ?

Eh bien il ramasse spontanément le papier pour le donner à l'adulte dans 78% des cas !

Et cela de façon répétée tandis que l'adulte - décidément très maladroit - fait tomber encore et encore son papier.

A présent, petit changement dans l'expérience : l'adulte donne une récompense à l'enfant à chaque fois qu'il ramasse le papier.

L'enfant continue à ramasser le papier.

Enfin, on arrête les récompenses.

A ce moment là, l'enfant ramasse beaucoup moins le papier, avec seulement 51% des cas.

La récompense a annulé la motivation intrinsèque de l'enfant.

2.1.6. L'effet Cobra

Enfin, dernier phénomène : l'effet Cobra.

On raconte qu'au début du 19ième siècle, Delhi était envahie de cobras.

Les anglais ont voulu régler le problème une bonne fois pour toute.

Pour cela, ils ont élaboré un plan infaillible : une récompense pour chaque cobra mort apporté aux autorités.

Pendant un certain temps, le programme a semblé fonctionner.

La population de cobras a baissé.

Jusqu'au jour où les autorités ont découvert des fermes de cobras destinées à collecter les récompenses !

Découvrant le pot aux roses, les autorités ont cessé de récompenser les cobras morts.

Et les fermiers, ne sachant quoi en faire, les ont relâchés dans la ville, ce qui a donc amplifié le problème.

C'est ce qui arrive aussi dans les entreprises quand les employés trichent sur les mesures de performance.

Ce genre de comportement mésadapté arrive en particulier quand la motivation est très basse, comme dans le cas de la motivation par l'inertie.

2.2. L'entreprise agile

Jusqu'à maintenant, nous avons surtout parlé des effets des différents motivateurs sur la performance individuelle.

Prenons maintenant un peu de recul pour analyser ce qu'il se passe au niveau global de l'organisation.

2.2.1. Le yin et le yang de la performance

Comme le dit Mike Tyson, "Tout le monde a un plan, jusqu'à ce qu'ils reçoivent un coup de poing dans la figure. Après ça, ils s'arrêtent la peur au ventre, et se figent comme des rats".

Ce qu'illustre Tyson, ce sont les limites d'une stratégie bien réfléchie face aux inattendus.

Quand le plan échoue, est-ce que votre organisation se fige ou s'adapte ?

C'est ici que nous avons besoin d'une culture d'entreprise solide.

La culture d'entreprise détermine si les employés divergent correctement du plan quand des imprévus liés à l'instabilité du milieu (VUCA) l'exigent.

Une culture d'entreprise performante soutient la créativité, la persistance et l'esprit citoyen qui aboutissent à la performance adaptative.

Imaginez la plus routinière des organisations.

Au hasard, une station d'épuration.

Il se trouve que même ici, des facteurs d'instabilité (VUCA) arrivent tous les jours, tels que des machines qui se brisent, et qu'il faut remplacer très rapidement.

Sachant qu'un service continu 24h sur 24 est vital pour certaines personnes.

Les employés doivent aussi entre autres s'adapter aux nouvelles technologies, élaborer de nouvelles procédures de sécurité, faire évoluer les mesures de prévention de la pollution.

Au final, nous avons d'un côté la "stratégie", qui met en place un plan pour donner une direction à l'entreprise. Son résultat est la performance tactique.

Et de l'autre nous avons la culture d'entreprise, qui donne aux employés les moyens de s'adapter quand les imprévus l'exigent. Son résultat est la performance adaptative.

Ensemble, la stratégie et la culture d'une entreprise, ainsi que leurs résultats : la performance tactique et la performance adaptative, sont comme le Yin et le Yang.

Ils sont inséparables.

L'entreprise a besoin à la fois d'une stratégie pour éviter de tourner en rond, et d'une culture d'entreprise motivante pour trouver des façons créatives de s'adapter aux imprévus.

2.2.2. Le concept d'émergence

Pour illustrer encore mieux les dynamiques qui ont lieu dans une entreprise agile, nous pouvons nous tourner vers la théorie de la complexité.

Les termites sont un exemple de société particulièrement agile.

Et à en juger par leur biomasse, qui surpasse même celle des humains, c'est une espèce animale qui a particulièrement bien réussi sur notre planète.

Les termites construisent des monticules géants qui sont en fait des fermes pour cultiver les champignons nécessaires à la digestion du bois.

Mais ce champignon n'est pas simple à cultiver.

Il requiert un niveau précis de température, d'humidité et de dioxyde de carbone.

Pour maintenir le climat parfait, les termites doivent adapter leur termitière aux fluctuations extérieures telles que les pluies diluviennes ou les sécheresses prolongées.

Ils doivent aussi se défendre contre les attaques extérieures.

Si un prédateur arrive, les termites soldat sortent, et les ouvrières rebouchent les entrées derrière eux.

Un bel exemple d'esprit citoyen !

Quant à la reine, elle n'est pas là pour donner des ordres.

Malgré son nom, son rôle se limite à la reproduction.

Et c'est bien la raison du succès des termites : le système de commandement est complètement décentralisé.

Chaque termite joue son rôle de façon indépendante, selon les besoins de la situation.

Et c'est l'auto-organisation et la combinaison de chaque initiative qui fait la force des termites.

Un phénomène appelé "émergence" dans la théorie de la complexité.

Les humains sont capables de construire des organisations similaires, comme dans le cas de Wikipedia par exemple.

Si vous éditez un article de Wikipedia en ajoutant des erreurs, il y a de bonnes chances que l'erreur soit corrigée quelques heures après.

Ce genre d'organisation est un bon exemple de la puissance de la performance adaptative.

2.2.3. Émergence et facteurs de motivation directs

Voyons maintenant comment transformer une entreprise traditionnelle hiérarchique en entreprise émergente.

Un des spécialistes de la théorie de la complexité, Benyamin Lichtenstein, a identifié un ensemble de conditions pour que l'émergence se produise au sein d'une entreprise.

Tout d'abord, les individus doivent être capables de s'adapter à l'intérieur de leur environnement.

Dans la termitière, chaque termite peut prendre l'initiative de colmater un trou ou de créer une bouche d'aération.

Dans une organisation humaine, les individus doivent être encouragés à trouver de meilleures façons de réaliser leur travail et de servir leurs clients.

Linchtenstein appelle cette première condition "encourager la nouveauté" et "autoriser les expérimentations et fluctuations".

Ce qui corresponds au Jeu, ou motivation intrinsèque, le principal facteur de motivation direct de l'indice de motivation totale.

Attention, comme déjà expliqué, jouer n'est pas s'adonner à des activités distrayantes comme faire une partie de cartes à la pause de midi.

Il s'agit plutôt d'expérimenter dans les domaines du travail qui requièrent le plus d'adaptation, tels que le support client, le design d'un produit, etc.

Deuxièmement, les organisations doivent encourager le civisme.

Les citoyens s'instruisent et s'aident mutuellement.

Ils propagent les idées et partagent les innovations.

De même, les employés doivent se sentir suffisamment à l'aise pour partager leurs innovations, poser des questions, demander de l'aide ou venir en aide à un collègue qui découvre un problème majeur.

Le civisme des termites s'exprime chimiquement grâce aux phéromones.

Quand une termite trouve de la nourriture, elle laisse derrière elle une quantité de phéromones qui encourage les autres termites à la suivre.

Les sociétés humaines sont un peu plus compliquées.

Nous avons des outils comme l'argent.

Mais nous avons aussi des "phéromones" psychologiques.

Nous restituons de la valeur à notre communauté lorsque nous partageons les mêmes finalités et identités.

C'est ce que Lichtenstein appelle "créer et donner du sens".

Ce qui corresponds à la "finalité", le deuxième facteur de motivation direct le plus important dans l'indice de motivation totale.

2.3. Le biais du blâme

Nous venons de voir que pour qu'une entreprise soit capable de s'adapter à son environnement, il est important :

  • D'autoriser les expérimentations et fluctuations
  • De cultiver l'esprit citoyen (civisme) au sein de l'entreprise

Ce qui corresponds aux 2 facteurs de motivation les plus puissants de l'indice de motivation totale : le jeu et la finalité.

Malheureusement, la psychologie humaine pose un sérieux obstacle à cet état d'esprit.

Il se trouve que nous avons tous un biais du blâme qui fait que nous préférons blâmer les personnes plutôt que de nous demander si c'était la situation elle-même qui a provoqué la conséquence.

Voyons cela de plus près, ainsi que les outils dont nous disposons pour contourner cet obstacle...

2.2.1. L'erreur fondamentale d'attribution

Les biais d'attribution sont une famille de biais dans la psychologie humaine qui nous fait attribuer des conséquences aux mauvaises causes.

Le principal biais d'attribution est l'erreur fondamentale d'attribution, autrement dénommé "biais du blâme" par les auteurs Neel Doshi et Lindsay McGregor.

Prenons une des nombreuses expériences à ce sujet.

La psychologue Linda Beckman a recruté des étudiants en psychologie de l'éducation pour donner un cours, et d'autres pour évaluer le cours.

L'expérience a été spécialement conçue pour mettre les enseignants dans la pire des situations possible.

Ils devaient donner un cours de mathématiques face à une vitre sans tain (le même genre que dans les commissariats de police), dont on leur disait que les élèves étaient derrière.

En réalité, il n'y avait pas d'élève.

D'autre part, ils n'avaient que 20 minutes pour préparer le cours à partir du moment où ils prenaient connaissance du contenu du cours, qu'ils découvraient pour la première fois.

L'évaluateur assistait également au cours.

Après coup, on expliquait à l'enseignant et à l'évaluateur que les élèves avaient participé à un test pour vérifier l'efficacité du cours et que le niveau de certains élèves avait baissé.

On leur demandait ensuite grâce à un questionnaire d'expliquer pour quelle raison le cours n'avait pas été efficace.

Du côté des évaluateurs :

  • 50% du blâme fût attribué aux élèves
  • 32% à l'enseignant
  • 18% aux conditions horribles du cours

Du côté des enseignants, qui avaient vécu au premier plan les conditions désastreuses du cours, le blâme a tout de même été attribué à 42% aux élèves.

On voit donc bien que les personnes ont été exagérément blâmées par rapport à la situation, qui était pourtant le principal frein à la qualité du cours.

Imaginez maintenant qu'on demande aux évaluateurs comment améliorer l'expérience de ce cours.

Etant données les réponses, ils se seraient probablement focalisés sur la capacité d'écoute des élèves ou la manière d'enseigner, alors que c'est la situation elle-même qui avait le plus besoin de changer.

2.2.2. L'effet Pygmalion

Pour contrebalancer le biais du blâme, il existe fort heureusement une parade.

On appelle cela l'effet Pygmalion.

Le professeur Dov Eden de l'université de Tel Aviv a fait une expérience en collaboration avec les forces de défense israëliennes.

Un groupe de soldats israëliens devait participer à un stage de combat intense de 15 semaines.

Et les instructeurs ont reçu les scores d'aptitude (Command Potential) de leurs soldats basés sur les stages et évaluations passées.

Chaque instructeur a reçu un groupe mixte :

  • Un tiers des élèves avait un haut score en Command Potential (CP)
  • Un tiers avait un score moyen
  • Et pour le dernier tiers, on n'avait pas suffisamment d'informations pour donner un score

Puis le stage a eu lieu, et à la fin, les stagiaires ont reçu une batterie de tests pour évaluer leurs compétences.

Comme on pouvait s'y attendre, ceux qui avaient le meilleur score CP ont obtenu les meilleurs résultats.

Tandis que ceux qui avaient un score CP moyen ont été les plus mauvais, et les autres ont obtenu des résultats quelque part entre les deux.

Jusque là, rien de surprenant...

Sauf que les scores CP donnés aux instructeurs étaient complètement aléatoires !

Comment se fait-il alors que les résultats du test final concordaient avec le score CP ?

La réponse se trouve dans les attentes des instructeurs.

Comme ils attendaient une bonne performance des élèves avec un haut CP, ils étaient plus patients, plus consciencieux avec eux, et plus aptes à considérer les circonstances du stage dans la progression de l'élève.

Tandis que ceux dont ils n'attendaient pas une bonne peformance étaient plus fréquemment blâmés.

Comme ils étaient traités avec des motivateurs indirects, leur indice de movitation totale chutait, ce qui baissait leurs performances.

L'idée selon laquelle les attentes d'un leader peuvent donner lieu à une prophécie auto-réalisatrice a été tellement étudiée qu'on a donné un nom à ce phénomène : l'effet Pygmalion.

Et l'effet Pygmalion n'arrive pas seulement quand il y a des gagnants et des perdants.

Plus tard, l'expérience fût reproduite en donnant des scores CP élevés pour tous les élèves du groupe.

Et cette fois, tous les élèves ont obtenu des notes supérieures à la moyenne.

2.2.3. La méthode REAP

A ce stade, peut-être que vous pensez que vous êtes épargné par le biais du blâme.

Il se trouve justement que la plupart des gens ne se sentent pas concerné par ce problème.

C'est une des difficultés avec ce trait psychologique.

Non seulement il nous affecte, mais nous sous-estimons systématiquement son emprise sur nous.

Il faut donc se souvenir régulièrement que ce biais existe en chacun de nous.

Et c'est ce que vous pouvez faire à chaque fois que vous devez faire une remarque à un de vos collaborateurs.

Neel Doshi et Lindsay McGregor conseillent même une méthode en 4 points pour s'assurer d'éviter de blâmer une personne quand on désire lui faire un retour:

  • R comme Rappel : à chaque fois que vous vous prenez à blâmer quelqu'un, dites-vous que cette personne est probablement: "de bonne volonté". Assumez aussi que cette personne est compétente dans son travail.
  • E comme Expliquer : avant même de discuter avec la personne, trouvez 5 explications possibles au comportement que vous reprochez à la personne, basé sur les circonstances plutôt que la personne elle-même.
  • A comme Approcher: une fois que vous avez réalisé ces 2 premières étapes, vous pouvez approcher cette personne et mentionner votre observation. Demandez aussi "pourquoi" afin de localiser la racine du problème (sans mentionner le mot pourquoi, qui a souvent une connotation accusatrice).
  • P comme Plan : après avoir trouvé la racine du problème, élaborez un plan ensemble pour y remédier.

2.2.4. Genshi Genbutsu

Au-delà de la méthode REAP, il existe aussi une pratique très connue dans le système de production de Toyota pour tordre le cou au biais du blâme.

Cette pratique est dénommée Genshi Genbutsu, qui veut dire à peu près: "vrai lieu, vrai problème".

Il s'agit d'aller voir la situation par soi-même pour mieux se rendre compte du problème.

Ainsi, les managers de Toyota sont encouragés à se rendre sur la chaîne de production plutôt que de débattre du problème en réunion.

3. Bâtir une culture d'entreprise propice à la motivation au travail

3.1. Une torche dans le noir

Comme nous l'avons vu, la plupart des entreprises mesurent la motivation des employés de façon indirecte : par des formulaires de satisfaction ou d'engagement des employés.

Doshi et McGregor comparent cela à un ivrogne qui cherche ses clés sous un lampadaire, parce que c'est le seul endroit où il peut voir.

Bref, on ne regarde pas au bon endroit parce qu'on n'a pas les outils adaptés pour y voir bien clair.

Avec l'avènement de l'indice de Motivation Totale, il est enfin possible de connaître la source des motivations des employés.

Ceci va nous permettre de prendre des mesures ciblées pour améliorer la culture d'entreprise afin que chaque employé se sente enfin motivé pour les bonnes raisons.

Pour l'utiliser, les auteurs Neel Doshi et Lindsay McGregor proposent un plan en 5 étapes

  • 1. Mesurer l'indice de motivation totale : on peut utiliser pour cela le formulaire disponible sur le site primedtoperform.com
  • 2. Localiser les leviers d'amélioration : quelles sont les facteurs de motivation qui font le plus baisser l'indice de motivation totale ? Par exemple, si la motivation intrinsèque des employés (autrement dénommée "le jeu") est trop peu élevée, cela peut vouloir dire que les employés ne se sentent pas libres d'expérimenter ou n'ont pas de temps dédié à l'apprentissage dans leur travail de tous les jours.
  • 3. Choisir les mesures pratiques à adopter : comme nous le verrons dans la suite, il existe plusieurs moyens d'améliorer la motivation, comme oar par exemple la formation des leaders à la motivation totale, l'encouragement de l'entraide, etc.
  • 4. Fixer un objectif inspirant : de combien pensez-vous pouvoir augmenter votre score de motivation totale ? La plupart des entreprises les plus innovantes étudiées par McGregor et Doshi ont une avance de 15 points sur leurs concurrents. De combien de points pensez-vous pouvoir augmenter l'indice de motivation totale dans votre entreprise ?
  • 5. Réaliser une analyse de rentabilisation : pour pouvoir débloquer les fonds nécessaires à la transformation de l'entreprise, il va falloir souligner les bénéfices concrets de l'augmentation de l'indice de motivation totale, tels que : l'augmentation du chiffre d'affaire, l'amélioration des marges, la rétention des employés, etc.

3.2. Former les leaders à la motivation totale

Grâce à l'indice de motivation totale, il est possible de distinguer quels sont les leaders les plus efficaces.

3.2.1. 4 types de leaders

D'après les recherches des auteurs Neel Doshi et Lindsay McGregor sur le leadership transformationnel, 4 types de leaders se distinguent :

  • Les donnant-donnant : ce sont les leaders qui croient qu'il faut donner des récompenses pour un bon comportement et punir ou menacer pour un mauvais comportement. Bien qu'ils aient souvent de bonnes intentions, et croient sincèrement que leur style de leadership soit juste étant donné qu'il récompense le mérite, ce style de leadership aboutit aux 3 facteurs de motivation indirects à éviter : la pression émotionnelle, la pression économique et l'inertie. En moyenne, leur indice de motivation totale est de -1.
  • Les laissez-faire utilisent ni l'un, ni l'autre des motivateurs. Ils n'interviennent qu'en cas de problème. Leur croyance est que leurs équipes ont besoin de beaucoup d'espace de liberté. Malheureusement, ils ont tort. Les équipes fonctionnent le mieux quand un leader est activement impliqué dans l'augmentation de la motivation par le jeu, la finalité, et le potentiel. Ils produisent en moyenne un indice de motivation totale de 11 dans leur équipe.
  • Les enthousiastes essaient toutes sortes de motivateurs avec leur équipe, que ce soient des facteurs de motivation directs ou indirects. Le problème, c'est que les facteurs de motivation directs aident, alors que les facteurs de motivation indirects son nocifs pour la performance durable de l'entreprise. Comme les motivateurs indirects annulent les bienfaits des motivateurs directs, leur résultat est quasi-identique aux laissez-faire, avec un indice de motivation totale de 14.
  • Enfin, les démarreurs de flamme maximisent la motivation totale en encourageant les facteurs de motivation directs et en décourageant les facteurs de motivation indirects. Leur équipe a en moyenne un indice de motivation totale de 38, tandis que les 5% les plus doués créent des niveaux de 60 ou plus.

3.2.2. 14 comportement qui encouragent la motivation totale

Comment, en pratique, les démarreurs de flamme maximisent la motivation des employés ?

Doshi et McGregor ont isolé 14 comportements vertueux.

  • Pour augmenter la motivation par le jeu, ils :
    • 1. Donnent du temps et de l'espace, encouragent l'expérimentation et l'apprentissage.
    • 2. Expliquent clairement ce que signifie être performant.
    • 3. Vous encouragent à résoudre les problèmes par vous-même.
  • Pour augmenter la motivation par la finalité, ils :
    • 4. Vous aident à voir que votre travail est important et a du sens.
    • 5. Montrent l'exemple et attendent que vous viviez selon des valeurs communes alignées à la finalité.
    • 6. Donnent la priorité aux intérêts du client.
  • Pour augmenter la motivation par le potentiel, ils :
    • 7. Relient activement votre travail à vos objectifs personnels.
    • 8. Vous aident à vous développer et à vous focaliser sur vos forces plutôt que sur vos faiblesses.
    • 9. Vous donnent plus de responsabilités à mesure que vous montez en compétence.
  • Pour réduire la pression émotionnelle, ils :
    • 10. S'assurent que vos objectifs soient justes et raisonnables.
    • 11. Sont justes, honnêtes et transparents.
    • 12. Favorisent l'amitié au travail.
  • Pour réduire la pression économique, ils :
    • 13. S'assurent que vous êtes évalué de façon holistique.
  • Pour réduire l'inertie, ils :
    • 14. S'assurent que vous progressez et que vous ne gaspillez pas vos efforts.

Attention, ces comportements ne sont en rien limitatifs. Il existe beaucoup de variations et de façons créatives d'encourager les motivations directes et de décourager les motivations indirectes.

3.2.3. Transformer les objectifs tactiques en objectifs adaptatifs

Diriger les équipes en gardant à l'esprit l'indice ToMo (indice de motivation totale) implique de changer bon nombre d'habitudes solidement ancrées dans le leadership traditionnel.

Notamment la manière de fixer les objectifs.

Habituellement, les objectifs mobilisent presque exclusivement la performance tactique.

Par exemple : un objectif d'augmentation de 5% des ventes.

Appelons cela un "objectif tactique".

Mais certains chercheurs comme Locke et Latham ont identifié un autre type d'objectif : un objectif d'apprentissage.

On pourrait aussi appeler cela "objectif adaptatif" puisqu'il mobilise la performance adaptative.

Or, dans une méta-analyse réalisée par Rawsthorne et Elliot, les chercheurs ont découvert que les objectifs adaptatifs donnent de meilleurs résultats que les objectifs tactiques.

Notamment dans des situations où l'environnement change beaucoup, et où les équipes doivent constamment trouver de nouvelles stratégies pour s'améliorer.

Autrement dit : le monde d'aujourd'hui.

Pourquoi donc ne pas remplacer cet objectif de 5% des ventes par un objectif de 5 nouvelles stratégies à essayer pour améliorer les ventes ?

3.2.4. Trouver un rythme

Si l'on part sur l'idée d'un objectif adaptatif en termes de nouvelles stratégies à expérimenter, on se rends compte qu'il va nous falloir un rythme régulier pour suivre cet objectif.

Pour cela, on peut faire le point chaque semaine en modifiant la réunion de statut habituelle.

Pour cela, Doshi et McGregor proposent de se poser 3 questions :

  • Qu'a-t-on appris cette semaine ?
  • A-t-on progressé vers notre finalité cette semaine ?
  • Qu'a-t-on besoin d'apprendre la semaine prochaine ?

Cette réunion permet ainsi de partager des idées nouvelles et de faire le point sur les expérimentations en cours, autant sur celles qui ont aboutit à des résultats que celles qui n'ont pas amélioré la performance.

3.2.5. Former les leaders à l'état d'esprit de la motivation totale

Beaucoup d'entreprises n'ont pas de stratégie d'innovation managériale. Elles espèrent simplement que les leaders talentueux vont émerger naturellement.

Une entreprise performante est plus proactive.

L'idée est de créer un système vertueux pour aider les leaders à réaliser leur plein potentiel.

Pour cela, deux composantes sont nécessaires :

3.2.5.1. La formation

Se former peut simplement consister à lire le livre "Primed to perform" ou suivre des ateliers ou des présentations par des leaders talentueux qui maîtrisent la science de la motivation.

On peut aussi créer des groupes de discussion ou des séances de coaching en peer-to-peer pour faciliter la compréhension.

L'idée est de faire émerger cette prise de conscience grâce à des facteurs de motivation directs.

Ce qui veut dire en utilisant les 3 motivateurs directs : le jeu, la finalité et le potentiel.

3.2.5.2. Le feedback

Une fois que cette prise de conscience a aboutit, le feedback permet de mettre peu à peu en oeuvre les pistes d'amélioration.

Google est un bon exemple sur ce point.

La plupart des mesures prises par le département des ressources humaines sont basés sur des mesures.

Au minimum, une entreprise se doit de faire noter ses leaders par leurs subordonnés.

Chez Google, cela est réalisé deux fois par an, en dehors des périodes de réunions de performance, afin de ne pas augmenter la pression émotionnelle.

3.3. Une identité forte

Parmi les mesures à mettre en oeuvre au niveau de la culture pour améliorer la motivation, et donc la performance, l'identité est la seconde mesure la plus puissante.

La première étant d'encourager les équipes à expérimenter par eux-même (nous verrons cela plus loin).

Pour obtenir une identité forte, plusieurs ingrédients sont nécessaires...

3.3.1. La raison d'être

Est-ce que la raison d'être de votre société se limite au profit, ou est-ce qu'elle poursuit un but plus noble ?

Une raison d'être positive inspire la confiance et nourrit un fort sentiment d'identité parmi les employés.

On pourra citer par exemple SpaceX, l'entreprise de Elon Musk dont le but, au-delà de lancer des fusées, est d'assurer la survie du genre humain en allant coloniser Mars.

Les grecs avaient déjà compris que l'identité a une importance capitale.

Dans ses cours de rhétorique, Aristote cite 3 façons de convaincre :

  • Logos : la persuasion par la logique
  • Pathos : la persuasion par les émotions
  • Ethos : la persuasion par l'identité, où l'histoire, les idéaux et les actions de l'orateur persuadent

3.3.2. L'objectif

Un objectif inspirant au sein de d'entreprise augmente nettement la motivation par la finalité.

Mais il peut aussi augmenter la motivation par le jeu.

L'idée est d'avoir un objectif qui laisse la place à la prise d'initiative et permet de saisir les opportunités qui se présentent.

Ce concept est particulièrement important dans l'armée, où le commandement doit soigneusement expliquer l'intention derrière l'objectif.

La communication de cette intention va déterminer si un militaire prends les bonnes décisions sur le terrain.

Par exemple : faut-il détruire la cible coûte que coûte ou préserver les bonnes relations avec la population civile en minimisant les dommages collatéraux ?

On s'assurera donc de 2 choses derrière chaque objectif :

  • Un objectif clair, compris de tous
  • Une raison-d'être inspirante derrière cet objectif

3.3.3. Un code de bonne conduite

Un objectif peut être accompli de plusieurs manières différentes, plus ou moins vertueuses.

Le problème, c'et que même avec des valeurs telles que l'intégrité et l'honnêteté, les comportements peuvent varier du tout au tout, car tout le monde n'a pas la même notion d'intégrité et d'honnêteté.

D'où l'idée d'illustrer les comportements voulus grâce à un code de bonne conduite.

Ce code de bonne conduite va venir poser les règles du jeu des comportements à avoir quand on doit s'adapter face aux inévitables obstacles qui se dressent entre nous et les objectifs poursuivis.

Plusieurs sujets peuvent être clarifiés dans le code de bonne conduite :

  • La résolution de problèmes : comment sont traités les problèmes rencontrés ? Comment éviter les biais de jugement tels que le biais du blâme, etc.
  • La priorisation : comment priorise-t-on des objectifs concurrents ? Par exemple : les objectifs tactiques face aux objectifs adaptatifs (apprentissage et expérimentation)
  • La résolution de conflits : comment gérer les conflits d'opinion ? Quand doit-on chercher un consensus, quand est-on capable de prendre ses propres décisions ?
  • La motivation : quelles sont les attentes en termes de leadership ? Comment maintenir activement des circonstances propices à la motivation et à une culture d'entreprise vertueuse ?
  • L'héritage : quels symboles, rituels et pratiques sont sacrés et ne peuvent être ignorés ou éliminés ?

3.3.4. Un héritage

Les objectifs et codes de conduite ne sont pas suffisants.

Les employés ont besoin de les voir en action.

Une façon de le faire est de préserver et de partager l'héritage de la société

C'est-à-dire se remémorer des exemples concrets démontrant que l'entreprise a été fidèle à ses principes, même dans des situations délicates.

3.3.5. Des traditions

S'il faut se tourner vers le passé pour apprécier l'héritage d'une entreprise, les traditions sont dirigées vers l'avenir.

Les traditions sont les expériences partagées qui définissent l'identité d'une organisation.

Elles permettent aux employés de se motiver, comme c'est le cas par exemple lors de la danse Haka de l'équipe de rugby des All Blacks.

Elles synchronisent les employés, comme c'est le cas de la réunion journalière de la méthodologie agile, qui rythme les journées des développeurs logiciel.

Elles solidifient les valeurs et le sentiment d'identité partagé par les employés.

C'est le cas surtout des programmes d'induction où les nouvelles recrues découvrent pour la première fois les codes et rituels de l'entreprise qu'ils rejoignent.

Par exemple, les nouvelles recrues de la firme "Gentle Giant", spécialisée dans le déménagement, doivent monter toutes les marches du stade de Harvard le plus vite possible, sous les encouragements du PDG de l'entreprise.

Au final, tout cela incite chaque employé à incarner l'identité de l'entreprise dans son travail de tous les jours.

3.4. Encourager l'expérimentation des équipes

Le plus puissant levier de motivation est de faire un redesign des différentes tâches attendues des employés.

Le plus souvent, le descriptif d'un poste est basé uniquement sur la performance tactique.

On commence par décomposer la stratégie de l'entreprise en divers process.

Puis les process sont décomposés en tâches, qui servent à rédiger les fiches de poste des employés.

C'est une conception très tactique du travail qui ne laisse pas la place à la performance adaptative.

L'idée ici est de laisser les employés sortir de ce carcan.

En d'autre termes, il leur faut non seulement des tâches tactiques, mais aussi des tâches adaptatives telles que l'apprentissage et l'expérimentation, qui correspondent au facteur de motivation le plus puissant : le jeu.

3.4.1. Et s'il n'y avait pas qu'une seule bonne façon de faire ?

Frederick Winslow Taylor était un influent manager qui à la fin du 19ième siècle a initié une théorie appelée "Organisation scientifique du travail", encore connue sous le nom de Taylorisme.

L'idée principale était qu'en déterminant scientifiquement quelle est la meilleure manière de réaliser une tâche, on peut grandement améliorer la productivité d'une entreprise.

Ce style de management implique que chaque salarié soit limité à une seule "meilleure" façon de faire les choses.

Ce qui a provoqué de nombreux soulèvements populaires étant donné que cela prive les employés de toute autonomie.

Or, l'autonomie est la principale source de motivation dans l'indice de motivation totale.

3.4.2. Le côté sombre de la division du travail

Bien que le Taylorisme soit aujourd'hui reconnu comme obsolète, il influence encore beaucoup d'entreprises.

Une des conséquences du Taylorisme est la division du travail.

Pour maximiser la performance tactique, on donne chaque tâche à un spécialiste, afin qu'il devienne vraiment bon à réaliser cette tâche.

C'était le cas de l'entreprise Travelers dans les années 70, qui employait des opérateurs pour créer des cartes perforées.

A l'époque, l'informatique était encore rudimentaire, il n'y avait pas de disquette ou de clé USB.

Il fallait perforer des cartes pour stocker l'information.

Pour convertir un document en cartes perforées, il y avait 7 étapes :

  • Recevoir les documents des différents départements de l'entreprise (les clients internes)
  • Relire les documents, afin de vérifier qu'il n'y avait pas d'erreur évidente
  • Renvoyer les documents incorrects au client
  • Diviser les documents entre les différents perforateurs, avec un ordre de priorité suivant les urgences
  • Perforer les cartes
  • Relire les cartes perforées pour s'assurer qu'il n'y a pas d'erreur, et les corriger s'il y en a
  • Renvoyer les cartes au client

Ce travail était accompli par différentes personnes :

  • Les documents étaient reçus et relus par des "agents d'assignation"
  • Un superviseur renvoyait ceux qui avaient des erreurs au client
  • Les perforateurs recevaient des lots représentant environ 1 heure de travail
  • Et un groupe de "vérificateurs" relisait et corrigeait le travail

Ce travail était ennuyeux et ingrat.

Le taux d'erreurs était élevé.

Les travailleurs étaient souvent absents et se plaignaient beaucoup.

A l'époque, le professeur J. Richard Hackman venait de mettre au point une technique appelée "Job characteristics theory" ou enrichissement des tâches.

L'idée était de revoir les tâches des opérateurs pour rendre leur travail plus motivant.

L'entreprise décida de miser sur cette technique, et isola un groupe de 90 travailleurs pour l'expérimenter.

On donna aux perforateurs plus de responsabilités, plus de contacts avec les clients, et moins de supervision.

Dans le nouveau modèle, chaque perforateur était un point de contact pour un département spécifique.

Il s'appropriait toutes les interactions avec le client, de la réception des documents à la relecture du produit final.

Il pouvait gérer son emploi du temps et se faire son propre programme pour la journée.

Il recevait directement le rapport des erreurs de son travail, au lieu qu'il soit transmit à son superviseur.

Comme vous pouvez le remarquer, ces mesures ciblent directement la motivation par le jeu et la motivation par la finalité.

Bientôt, les comportements ont changé.

Les employés se sont mis à tisser des liens avec les départements qu'ils servaient.

Ils sont devenus des experts pour détecter le type d'erreurs fréquemment réalisées par le département qu'ils servaient.

Ils pouvaient donc anticiper la correction de ces erreurs.

Bref, cette nouvelle définition des tâches a été propice à la performance adaptative.

Rien qu'en changeant les tâches affectées aux opérateurs, le taux d'erreur a été réduit de 35% comparé au groupe témoin.

L'absentéisme a baissé de 24%.

Les opérateurs étaient plus heureux dans leur travail, avec une augmentation de 17% du taux de satisfaction.

Et la productivité augmenta de 40%.

Pas si mal pour une organisation du travail qui brisait toutes les règles du taylorisme !

3.4.3. Les attributs d'un travail inspirant

Organiser son travail d'après la performance tactique est simple.

Il suffit de décomposer la stratégie en process, et d'en déduire les tâches à accomplir.

Par contre, incorporer la performance adaptative exige plus de subtilités.

La bonne nouvelle, c'est que les règles à suivre sont les mêmes pour n'importe quel poste.

Les voici :

3.4.3.1. Rendre visible l'impact du travail

L'employé doit se rendre compte par lui-même de l'impact de son travail.

Dans l'exemple des perforateurs, le fait de s'approprier l'ensemble des étapes de traitement des documents leur a permis de beaucoup mieux comprendre l'impact de leurs tâches.

Au fil du temps, cela leur a permit de développer une théorie de leur impact.

C'est-à-dire d'identifier par eux-même un ensemble de pistes d'amélioration de leur performance.

Dans d'autres industries, par exemple une chaîne de montage de voitures, s'approprier l'ensemble des étapes du travail peut être plus difficile.

La solution adoptée chez Toyota est de réaliser des rotations de poste, afin que les employés aient progressivement une vue plus globale de comment la voiture est construite.

3.4.3.2 L'inspiration

Un poste doit aussi favoriser l'inspiration des employés.

De multiples moyens existent.

On peut par exemple faciliter les interactions avec les employés d'autres départements pour aider les employés à trouver de nouvelles idées par sérendipité.

On peut favoriser les contacts avec les clients, les fournisseurs ou même les compétiteurs.

Et on peut s'assurer que chaque travailleur a à sa disposition toutes sortes de documentations et livres divers pouvant aider à l'achèvement des tâches.

Quand on sait quel est l'impact de ses tâches et qu'on a de nouvelles idées à explorer, on a de quoi expérimenter et démarrer le cycle d'amélioration de la performance.

3.4.3.3. La priorisation et le planning

Quand vient le moment de planifier des idées d'expérimentation, on se heurte souvent à un mur de briques.

Est-ce que j'ai le droit ? Est-ce que je dois demander la permission à mon supérieur ? Est-ce que je dois obtenir un consensus sur mon idée auprès de mon équipe?

En vérité, chaque employé doit pouvoir faire la part entre ce qu'il peut expérimenter librement et ce qui exige plus de précautions.

Chez Gore & Associates, on utilise une métaphore pour évoquer cette limite.

Il s'agit de la ligne de flottaison d'un bateau.

Tant qu'on est au-dessus de la ligne de flottaison, on peut faire des trous dans le bateau sans crainte.

Par contre, les trous en-dessous de la ligne de flottaison nécessitent plus de précautions car ils peuvent faire couler le bateau.

3.4.3.4. L'exécution

Beaucoup d'entreprises passent leur temps à donner des ordres aux employés.

Dans le pire des cas, les employés se sentent emprisonnés dans des scripts de vente, des listes de contrôle et des instructions à suivre à la lettre.

Pourtant, chaque entreprise est soumise à un environnement instable qui nécessite d'apprendre, d'expérimenter et d'innover.

Il s'agit donc d'identifier ces domaines qui nécessitent le plus de créativité.

Et d'y aménager des espaces de liberté.

On peut imaginer cela comme une sorte de bac à sable.

Un espace où l'on peut se permettre de tester de nouvelles choses, quitte à échouer, afin d'accélérer l'apprentissage.

Par exemple, chez Toyota, les employés peuvent proposer des innovations en tirant une corde appelée Andon Chord qui pends au-dessus d'eux.

Chez Starbucks, bien que les recettes de café soient figées, les employés peuvent interagir de manière unique avec chaque client.

Dans d'autres entreprises, comme chez Google, les employés consacrent une part de leurs heures à des activités librement choisies.

3.4.3.5. La réflexion

Une fois que l'on a expérimenté, une période de réflexion doit déterminer si l'on a atteint l'impact voulu.

Dans l'exemple vu précédemment, les perforateurs recevaient directement leur rapport d'erreur.

Cela leur permettait de juger par eux-même de la qualité de leur travail.

Dans la méthodologie agile popularisée dans le secteur des nouvelles technologie, le travail est organisé suivant des cycles de 1 à 2 semaines appelés des sprints.

A la fin de chaque sprint, un incrément du produit est livré, et une rétrospective a lieu.

Il s'agit d'une réunion où l'équipe réfléchie sur ce quelle a accompli, ce qu'elle a appris, et ce qui peut être expérimenté dans le prochain sprint pour s'améliorer.

3.4.4. Conclusion

Au final, incorporer la performance adaptative parmi les activités des travailleurs est la mesure qui a le plus d'impact sur l'indice de Motivation Totale.

Encourager l'expérimentation dans le travail augmente l'indice de motivation totale de 68 points.

Permettre à l'employé d'apprendre grâce à la diversité de ses tâches augmente l'indice de motivation totale de 68 points également.

Permettre à l'employé de ressentir la finalité au cours de son travail augmente l'indice de motivation totale de 64 points.

Permettre que les employés ne travaillent pas seuls augmente l'indice de motivation totale de 36 points.

3.5. Diversifier les parcours professionnels

Nous avons vu précédemment que la pression économique est un facteur de motivation indirect.

Malgré la croyance générale, manier l'employé au bâton et à la carotte réduit les performances en cas de travail intellectuel, surtout s'il nécessite de la créativité.

C'est ce qui arrive spécialement en cas de crise, où l'on doit s'adapter à des situations inédites.

Il se trouve que l'argent n'est pas l'unique pression économique que subissent les employés.

Le statut d'un employé dans l'entreprise est aussi une forme de pression économique.

Et la perspective d'obtenir une promotion conduit inévitablement aux même dérives.

3.5.1. Le parcours managérial

Dans la plupart des entreprises, il n'existe qu'un seul modèle d'avancement : le parcours managérial.

Cela conduit tous les employés à une concurrence féroce pour être promu en tant que chef.

Pourtant, celui qui est promu n'a pas toujours les compétences managériales adéquates.

Par exemple : un excellent développeur en informatique ne fera pas forcément un excellent chef d'équipe.

Si cette personne est promue et n'a pas les compétences nécessaires, elle sera incompétente dans sa nouvelle affectation et ne montera pas davantage dans la hiérarchie.

Si par contre, elle est compétente, elle montera dans la hiérarchie jusqu'à ce qu'elle arrive à un poste où elle n'est plus compétente.

Ce penchant a été dénoncé par Laurence J. Peter dans son livre : Le principe de Peter.

D'après le principe de Peter : "dans une hiérarchie, chaque employé tends à être promu jusqu'à son niveau d'incompétence".

Heureusement, il existe une alternative aux parcours professionnels concurrentiels.

La solution est de diversifier les parcours de carrière.

3.5.2. Comment diversifier la gestion des carrières ?

D'après les auteurs Neel Doshi et Lindsay McGregor, il existe 4 principes fondamentaux pour créer des parcours de carrière motivants dans l'entreprise :

3.5.2.1. Créer des parcours professionnels alternatifs

Bien que chaque organisation aura ses propres parcours professionnels, voici 3 types de modèles de parcours de carrière qui peuvent servir de base :

3.5.2.1.1. Le parcours managérial

Ce premier parcours ne devrait pas être considéré comme une récompense réservée aux meilleurs employés.

Il devrait être le parcours de ceux qui trouvent une motivation authentique dans le management et le coaching.

Ceux qui comprennent la théorie de la motivation totale, le biais du blâme, savent faciliter une session de brainstorming ou lancer un projet d'amélioration continue.

Bref, il devrait être l'aboutissement d'une recherche de l'excellence plutôt qu'un moyen d'amasser de la richesse et du pouvoir.

3.5.2.1.2. Le parcours de l'expert

Le parcours de l'expert est centré sur l'acquisition progressive d'une connaissance clé de l'entreprise.

Par exemple, dans un lycée, certains professeurs ne souhaitent pas forcément devenir principal.

La maîtrise de la science de l'éducation est alors un parcours qui peut leur être offert et dans lequel ils peuvent s'épanouir.

Des activités complémentaires liées à ce parcours pourraient alors leur être proposé comme le coaching d'autres professeurs ou des activités de recherche sur ce sujet.

3.5.2.1.3. Le parcours du responsable client

Les employés engagés dans ce parcours doivent devenir maîtres dans l'art du contact client.

La théorie de la motivation totale étant applicable aussi aux relations client, il s'agit de s'améliorer à la fois au niveau du service et du marketing auprès du client.

Un tel employé doit connaître parfaitement la mission de l'entreprise, ainsi que la proposition de valeur unique des différents produits proposés.

3.5.2.2. Définir un point d'aspiration

Au sommet du parcours professionnel se trouve le point d'aspiration de l'employé.

Il doit être particulièrement motivant.

Pour le parcours managérial, il s'agit du poste de PDG, dont les avantages sont évidents.

Mais pour un parcours d'expert ou de responsable client, le point d'aspiration nécessite un peu plus d'imagination.

Chez IBM par exemple, il s'agit du titre honorifique de "Fellow".

Sachant que 5 prix Nobels font partie des Fellows de IBM, imaginez le prestige de cette distinction !

Notez bien que le nombre de Fellows n'est pas limité.

Les employés ne se battent pas pour une place de Fellow.

Ils évoluent simplement dans leur parcours professionnel, non pas pour le pouvoir, mais pour l'amélioration de leurs connaissances.

3.5.2.4. Définir les échelons

Une fois qu'un parcours professionnel et son point d'aspiration ont été définis, il reste à détailler les échelons de ce parcours.

Il s'agit de déterminer quelles sont les attentes du poste, en partant du niveau débutant jusqu'au niveau avancé.

Par exemple, dans le cas du professeur, le niveau débutant pourrait être la capacité à motiver les élèves à apprendre par eux-même.

Bien sûr, ce n'est qu'une des capacités attendues, étant donné que l'employé doit être évalué sur une variété de critères.

Dans tous les cas, l'employé doit se sentir libre de travailler à sa manière, de façon à maximiser sa motivation totale.

Une fois que les différents échelons ont été définis, on pourra se baser dessus pour déterminer les augmentations de salaire.

Ainsi, l'employé est encouragé à apprendre pour évoluer dans sa carrière.

3.5.2.5. Récompenser par la motivation totale

Enfin, dernier point, il est important de récompenser les employés grâce à la motivation totale à mesure de leur progression dans leur carrière, même si leur titre ne change pas.

Cela signifie leur donner plus d'opportunités d'être motivé par les facteurs de motivation directs, c'est-à-dire : le jeu, la finalité et le potentiel.

Chez IBM par exemple, les scientifiques obtiennent plus d'espace dans les laboratoires, l'accès à des assistants ou à des équipements spécifiques.

3.6. Limiter le recours aux incitations économiques

La rémunération basée sur le rendement est l'un des moyens les plus connus pour améliorer la performance.

La logique veut que cela assure un revenu équitable, puisque basé sur les contributions de l'employé à l'entreprise, et donc motivant pour l'employé.

Cependant, dans l'indice de motivation totale, il corresponds à la "pression économique", qui est un motivateur indirect.

Et comme ce genre de motivateur peut causer de multiples effets indésirables, il est préférable de prendre beaucoup de précautions avant de l'envisager.

3.6.1. Dans quels cas les incitations économiques fonctionnent ?

Safelite est une entreprise de remplacement de vitres de voiture.

En 1994, l'entreprise a décidé de créer un système de bonus basé sur le nombre de vitres remplacées.

Résultat : la performance des employés a bondit de 44%.

Ceci semble confirmer l'efficacité des incitations économiques.

Pourtant, il faut bien relever les spécificités de cette entreprise.

3 éléments rendent les incitations économiques efficaces :

  • Le rendement est facilement mesurable. Il s'agit du nombre de vitres remplacées.
  • Les problèmes de qualité sont détectés rapidement. Par exemple s'il y a un problème de joint ou une fêlure dans la vitre, le conducteur s'en rends très vite compte.
  • Le blâme est facilement assignable. En l'occurrence, l'entreprise avait une politique selon laquelle les défauts de remplacement devaient être corrigés par celui qui est à l'origine du défaut.

En conséquence, bien que le motivateur utilisé était indirect, il n'était pas un frein à la performance adaptative.

D'autre part, le client avait le même objectif que l'employé : la vitesse de remplacement de la vitre.

Ce qui n'est pas forcément le cas dans d'autres professions.

Par exemple, une infirmière qui doit aller faire une piqûre au domicile d'une personne âgée doit faire la piqûre le plus vite possible pour maximiser le nombre de patients, alors que le patient attends surtout une discussion réconfortante.

3.6.2. Quand les objectifs nuisent à la performance adaptative

Comme nous l'avons déjà vu précédemment, les motivateurs indirects causent 3 effets indésirables.

3.6.2.1. La distraction

Un objectif de rendement peut nuire à la performance adaptative car les actions qui augmentent directement ce rendement ne sont pas toujours les meilleures actions à accomplir.

Prenons le cas d'un commercial.

Ce commercial peut planifier sa journée pour effectuer des études de cas de client, qui l'aideront à mieux vendre le produit.

Mais ce jour-là, il pourrait choisir de changer son programme pour aider à résoudre en urgence un contentieux avec un client existant.

Ici, le dilemme est de choisir entre l'augmentation du nombre de nouveaux clients et la relation des clients à long terme dans l'entreprise.

Dans le cas d'un objectif de rendement il sera plutôt encouragé à choisir la première option.

Bref, l'objectif de rendement distrait l'employé, car il l'encourage à adopter des comportements qui ne servent pas au mieux les intérêts de l'entreprise.

Remarquons que même si on changeait l'objectif de l'employé pour qu'il privilégie les relations à long terme avec les clients existants plutôt que les nouveaux clients, cela n'améliorerait pas les choses.

L'employé devrait pouvoir constamment doser lui-même l'équilibre entre sa performance tactique et sa performance adaptative.

3.6.2.2. L'annulation

L'annulation est un autre effet indésirable des objectifs au rendement.

Prenons cette fois le cas d'un agent de prêt dans une banque.

S'il a un objectif de rendement sur le nombre de prêt, cela signifie que c'est la vitesse qui est privilégiée dans l'entreprise.

Et cette perception annule la motivation à effectuer des vérifications minutieuses sur les dossiers de prêt.

Au final, la banque se retrouve avec une augmentation du nombre de prêts toxiques.

3.6.2.3. L'effet Cobra

Enfin, plus grave encore, les objectifs de rendement augmentent le nombre de comportements mésadaptés.

Autrement dit : les employés trichent pour maximiser leur rémunération.

Par exemple, des mécaniciens payés au rendement peuvent vendre des services inutiles à leurs clients.

Aux Etats-Unis, les établissements scolaires sont mis en compétition en termes de réussite à leurs examens.

Ceci a provoqué des scandales quand certains établissements se sont mis à trafiquer les résultats d'examen pour être bien notés par l'administration.

3.6.3. Comment décider s'il faut recourir aux incitations économiques ?

Comme nous l'avons vu, il existe des cas où les incitations économiques fonctionnent, et d'autres cas où elles nuisent à la performance.

La plupart des commissions sur les ventes diminuent l'indice de motivation totale.

Mais dans certains cas, si l'employé est persuadé que l'entreprise défends les meilleurs intérêts du client, elles peuvent fonctionner, comme par exemple dans le cas de l'entreprise Safelite.

En pratique, Neel Doshi et Lindsay McGregor utilisent 9 questions pour décider si la rémunération basée sur le rendement est judicieuse:

  • Est-ce que la performance adaptative est importante dans l'entreprise ?
    • 1. Est-ce que les tâches sont routinières ? Pour des tâches mécaniques, où le travail n'est pas soumis aux aléas de la Volatilité, de l'Incertitude, de la Complexité et de l'Ambigüité (facteurs VUCA), les incitations économiques peuvent éventuellement marcher.
    • 2. Est-ce que les employés n'ont aucun conflit d'intérêt dans leur travail ? Si l'employé doit sans cesse faire des choix entre court terme et long terme / quantité et qualité, les motivateurs indirects comme les incitations économiques peuvent conduire les employés à faire les mauvais choix.
    • 3. Est-ce que l'entreprise sortirait indemne d'une crise d'image causée par les effets indésirables des incitations économiques ? Les effets indésirables des incitations économiques, telles que l'annulation, la distraction et en particulier l'effet Cobra peuvent aboutir à des comportements mésadaptés nuisibles à la réputation de l'entreprise.
    • 4. Est-ce que l'esprit d'équipe peut être relégué au second plan dans votre entreprise ? Si l'esprit d'équipe est crucial pour obtenir une performance élevée, une rémunération au rendement risque de réduire les performances des employés, car elle favorise l'individualisme.
  • Votre système de rémunération va-t-il réduire la motivation totale ?
    • 5. Peut-t-on mesurer justement les comportements importants, notamment la performance adaptative ? Si les comportements adaptatifs sont durs à mesurer, le paiement au rendement ne sera pas juste et ne motivera pas l'employé. A noter que certains accomplissements sont le résultat d'un esprit d'équipe que l'on ne pourrait pas attribuer à un individu en particulier, d'autres sont simplement des coups de chances (exemple : un commercial médiocre tombant par chance sur un gros client qui a désespérément besoin du produit).
    • 6. Peut-on facilement déterminer la valeur des comportements désirables ? On peut facilement donner une valeur au nombre de produits réalisés, mais d'autres contributions sont plus complexes, et parfois leur valeur ne sera connue que bien plus tard (exemple : une suggestion menant à une nouvelle ligne de produits, ou un geste commercial menant à la fidélisation d'un client).
    • 7. Vos employés sont-ils préservés des motivateurs indirects ? S'ils ont à peine de quoi vivre d'un mois à l'autre, ou qu'ils sont la cible constante des humeurs d'un patron autocratique, le paiement au rendement risque d'exacerber les problèmes liés à cet environnement.
    • 8. Est-ce que la motivation totale est naturellement élevée dans votre entreprise ? Si les employés travaillent pour les bonnes raisons (amour du travail bien fait, finalité, potentiel), ils seront plus susceptibles de voir le recours au rendement comme une manière de suivre leurs progrès plutôt qu'une pression extérieure.
    • 9. Peut-on aligner aisément les incitations des employés, des clients et de l'entreprise ? Si les incitations économiques incitent à la rapidité alors que votre client attends de la patience, les incitations économiques ne vont pas fonctionner.

SI à la fin de ce questionnaire, vous êtes toujours convaincu que la rémunération au rendement est souhaitable, vous pouvez vous lancer mais en prenant toutes les précautions nécessaire.

C'est-à-dire que cela doit mener à une expérimentation aboutissant à des chiffres concrets.

Et la mesure ne devrait pas être cantonnée à la performance tactique, mais aussi à la performance adaptative.

3.6.4. Les alternatives

Si la rémunération au rendement est écartée, que reste-t-il comme possibilités ?

Nous avons déjà vu précédemment que l'on peut faire évoluer la rémunération grâce à des échelons professionnels basés sur les compétences des employés.

On peut également implémenter des incitations économiques basées sur la performance de l'équipe entière plutôt que de l'individu.

Enfin, certaines sociétés ont simplement abandonné la rémunération au rendement, et partagent simplement une part fixe des profits de manière égale entre tous les employés de l'entreprise.

3.7. Civiliser l'entreprise

Comme vu précédemment, le civisme, ou esprit d'équipe, joue un grand rôle dans la motivation des employés.

Nous avons déjà évoqué plusieurs mesures pour l'améliorer, comme la limitation du recours aux incitations économiques et la diversification des parcours professionnels.

Mais pour que la magie opère, il faut aussi que l'entreprise soit structurée de la bonne manière.

3.7.1. Place de marché ou société civile ?

On considère souvent l'entreprise comme une place de marché, où les employé sont mis en concurrence entre eux.

Ce modèle nous vient tout droit de la façon dont l'économie fonctionne.

Dans une économie capitaliste, chaque entreprise s'adapte aux demandes du marché.

Dès qu'une opportunité se tarit, les entreprises déploient leurs ressources sur d'autres opportunités.

Tout cela se régule grâce à l'argent, qui indique où la valeur se crée.

La croyance commune voudrait que ce modèle soit transposable aux employés d'une entreprise.

Mais ce n'est pas le cas.

D'après Neel Doshi et Lindsay McGregor, cette croyance se base sur 4 hypothèses erronées :

3.7.1.1. Hypothèse erronée n°1 : les organisations n'ont pas besoin de civisme pour développer les comportements adaptatifs

Dans une place de marché, l'argent permet de faire émerger de nouvelles idées, et les autres entreprises à leur tour s'en inspirent.

Alors qu'à l'intérieur d'une entreprise, un employé peut garder pour lui-même la recette secrète qui lui permet d'être plus performant que les autres employés.

Sans civisme, il ne la partagera pas.

3.7.1.2. Hypothèse erronée n°2 : La coopération et l'harmonisation des pratiques n'est pas nécessaire dans une organisation

La coopération n'est pas forcément nécessaire entre les entreprises, c'est pourquoi il est si difficile de faire adopter des standards, comme l'embout d'un cordon d'alimentation d'ordinateur portable par exemple.

Mais la coopération est cruciale dans l'entreprise, car elle encourage les comportements adaptatifs.

Quant à l'harmonisation des pratiques, elle est cruciale pour la performance tactique.

3.7.1.3. Hypothèse erronée n°3 : Les organisations n'ont pas besoin que leurs participants améliorent les ressources partagées

Les entreprises gèrent les ressources partagées via des transactions financières, tout comme le reste.

Et elles ne font rien quand elles ne sont pas forcées de le faire.

Mais les employés doivent constamment améliorer leurs ressources partagées, telles que leurs outils, leurs méthodes de travail, et leurs technologies.

3.7.1.4. Hypothèse erronée n°4 : Les organisations ne sont pas pénalisées quand leurs employés trichent

Quand une entreprise triche et se fait prendre, elle en subit les conséquence, mais le reste des acteurs de la place de marché n'en subit généralement pas les conséquences.

Au contraire, quand un employé commet une faute professionnelle grave, toute l'entreprise est pénalisée.

Pour toutes ces raisons, il nous faut trouver un autre modèle de communauté au sein de l'entreprise.

Et ce modèle, il s'agit de celui de la société civile.

3.7.2. Le nombre de Dunbar

Robin Dunbar est un primatologue de l'Université d'Oxford qui étudie comment se forment les sociétés de primates.

Les primates ont beaucoup de similitudes avec les humains.

Ils jouent, expérimentent.

Ils peuvent être jaloux.

Ils forment des cliques pour l'épouillage.

En étudiant leur comportement, Dunbar a remarqué une tendance remarquable.

Il a recensé le nombre d'individus des groupes de primates chez 38 types de primates.

Et il a comparé cela à la taille de leur néocortex, la zone la plus externe du cerveau.

Son hypothèse était que la formation de communautés a une charge mentale.

Car chaque individu doit se souvenir des visages, des caractéristiques, des histoires de chaque congénère.

Et effectivement, Dunbar a remarqué une corrélation entre les deux valeurs.

Les singes ayant un néocortex plus petit forment de plus petites communautés comparé aux primates ayant de grands néocortex, et les points s'alignent grosso-modo sur une droite.

En extrapolant le résultat à l'homme, il en a déduit la taille maximale d'une communauté humaine idéale : approximativement 150.

Une grandeur connue maintenant sous le nom de Nombre de Dunbar.

Il s'agit simplement du nombre maximum où chacun connaît à peu près tout le monde.

3.7.3. Une entreprise à taille humaine

Le nombre de Dunbar reflète le nombre d'employés idéal dans une entreprise.

Si sur un site ou une division de l'entreprise, le nombre d'employés augmente au-delà de 150 ou 200 employés, l'entreprise devrait à nouveau se séparer en plusieurs entités.

Pour donner une image, c'est un peu comme les amibes, ces organismes unicellulaires qui se divisent pour se reproduire.

Dunbar est allé même plus loin.

Il a identifié 4 niveaux de communautés différents :

3.7.3.1. Le village

Il s'agit du groupe de 150 personnes désignées par le nombre de Dunbar.

Comme les primates, les humains recherchent naturellement un sentiment d'affiliation aux autres.

Mais ils s'en détournent parfois à cause des motivateurs indirects utilisés dans l'entreprise, qui provoquent des comportement de protection de soi, de jalousie, d'insécurité et d'injustice.

Chaque village devrait avoir un nom, un héritage, des traditions, et même une version personnalisée du code de conduite de l'entreprise.

3.7.3.2. La bande

La bande est à un niveau plus bas que le village. Elle est constituée d'environ 50 individus.

Chez les primates, elle constitue un niveau de sécurité plus élevé, et les individus qui la composent sont plus à même de partager des ressources.

Dans une entreprise, c'est une taille optimale pour partager les connaissances et remonter des résultats obtenus dans les différentes expérimentations individuelles des membres du groupe.

3.7.3.3. La partie de chasse

La partie de chasse est un niveau encore au-dessous où des employés travaillent étroitement entre eux pour accomplir un objectif.

Il est constitué d'environ 15 membres.

Les équipes sportives sont un bon exemple, elles sont constituées généralement de 5 à 15 membres, avec une moyenne de 11.

Chez Amazon, Bezos a établit la règle des 2 pizzas : si une équipe projet ne peut pas être nourrie avec 2 pizzas, c'est qu'elle est trop grande.

3.7.3.4. Les confidents

Enfin les confidents sont le groupe de personnes les plus proches.

Ce cercle contient en moyenne 5 personnes.

C'est la communauté où le niveau de confiance et de performance adaptative sont maximum.

Les confidents se soutiennent mutuellement par un ensemble de petites attentions, ce qui les encourage à persister dans leurs tâches les plus difficiles.

Malgré leur importance, beaucoup d'employés n'ont pas de confidents.

Ce problème peut être évité grâce à un programme de mentorat où l'on assigne un mentor à chaque nouvel employé.

Une autre façon de faire est de créer des sous-équipes au sein de la partie de chasse.

En appliquant ce schéma, l'esprit de compétition cède la place au civisme à chaque niveau de l'entreprise grâce à la motivation totale.

Les employés sont alors capable de se concentrer sur la véritable menace : les compétiteurs de l'entreprise.

3.8. Améliorer le système de performance

Jusqu'à maintenant, nous avons beaucoup parlé de performance adaptative, notamment parce que cet aspect de la performance est trop souvent relégué au second plan.

Cependant, il ne faut pas non plus négliger la performance tactique.

Une entreprise performante doit honorer ses dates de livraison, atteindre ses objectifs de production, et gagner des parts de marché.

Pour y parvenir, il nous faut un système de performance qui équilibre ces 2 aspects.

3.8.1. Les abus des systèmes de performance traditionnels

Avant toute chose, analysons les problèmes rencontrés dans les systèmes de performance traditionnels.

3.8.1.1. La performance forcée

La "performance forcée" est un système de performance instauré par Jack Welch, qui présida General Electric de 1981 à 2012.

Selon ce modèle, la distribution du niveau de performance des employés suit une courbe en cloche.

Le but de l'exercice de "performance forcée" consiste à licencier un certain pourcentage des employés jugés moins bons, et de récompenser un même pourcentage d'employés jugés les meilleurs.

L'inconvénient est que ce modèle aboutit à une forte augmentation des motivateurs indirects, notamment la pression émotionnelle et la pression économique.

Il aboutit aux 3 effets néfastes qui découlent des facteurs de motivation indirects :

  • La distraction : les employés planifient leur travail autours des revues de performance au lieu du cycle de vie des produits.
  • L'annulation : des comportements attentistes émergent chez les employés et les incitent à prendre moins de risques, ce qui nuit à la créativité de l’organisation
  • L'effet Cobra : toutes sortes de comportements mésadaptés en émergent, comme par exemple l'art de transmettre juste assez d'information aux collègues pour être perçu comme courtois, sans toutefois en donner trop, afin de garder un avantage, ou encore le fait de ne pas accepter les employés très performants dans son équipe, ou de garder les employés moins bon jusqu'à la revue de performance.

Ce modèle est d'autant plus erroné que la distribution des compétences ne reflète pas forcément la réalité.

Par exemple, une équipe peut comporter uniquement des individus très performants.

Dans ce cas, ce serait une grave erreur de licencier les moins bons.

3.8.1.2. Le facteur chance

La motivation au travail peut aussi baisser quand un employé se sent jugé sur des facteurs hors de son contrôle.

Par exemple, un vendeur peut rater une vente auprès d'un gros client uniquement parce que ce client était de mauvaise humeur ce jour-là.

Prenons encore le cas d'une infirmière qui oublie de mettre le rail de sécurité sur un lit d'hôpital.

Scénario 1 : le patient tombe, l'infirmière est lourdement réprimée par ses supérieurs.

Scénario 2 : le patient ne tombe pas, elle s'en sort avec un simple avertissement.

Pourtant, l'erreur est la même, là encore, le facteur chance joue un grand rôle sur le résultat.

Et quand on sait que 90% des responsables de ressources humaines trouvent leur systèmes de performance inexact, on peut se retrouver avec des aberrations.

Par exemple : promouvoir un trader qui a pris des risques inconsidérés, mais a fait une forte plus value grâce au facteur chance.

Et au contraire, réprimander un trader talentueux qui n'a pas eu de chance.

3.8.1.3. Les systèmes de performance tactiques

D'autre part, certains systèmes de performance fonctionnent uniquement sur des indicateurs tactiques.

C'est-à-dire qu'ils ne tiennent pas compte, ou minimisent les facteurs adaptatifs.

Cette obsession des chiffres avantagent les stratégies individualistes et court-termistes, avec un accent sur la quantité au lieu de la qualité, et des dommages parfois irréparables sur l'image de l'entreprise.

3.8.2. La tendance s'inverse

Heureusement, on assiste ces dernières années à un rejet des modèles de performance traditionnels.

La plupart des entreprises ont maintenant abandonné le modèle de performance forcée.

C'est le cas notamment de Microsoft, qui l'a utilisé jusqu'en 2013 avec des effets désastreux sur son niveau de créativité.

Cela explique en partie que son niveau de capitalisation boursière n'ai quasiment pas évolué pendant toute une décennie.

Depuis, l'entreprise vit une sorte de renaissance, sous l'impulsion de son nouveau PDG : Satya Nadella, qui a succédé à Steve Balmer en 2014.

Au-delà de la performance forcée, de nombreuses entreprises ont abandonné leurs outils de notation traditionnels (comme le tableau de bord équilibré) pour privilégier l'interaction avec les employés.

Ainsi, beaucoup d'entreprises ont instauré une conversation mensuelle entre les employés et les managers, plutôt que de faire le point seulement tous les 6 mois à 1 an sur des objectifs périmés ou trop abstraits.

3.8.3. Les nouveaux modèles

Aussi tentant que cela puisse paraître, rejeter tout système de performance est contre-productif.

Cela aurait des influences néfastes sur la performance, car les employés se demanderaient pour quelle raison telle ou telle personne a été promue.

Sans donnée concrète pour évaluer, on aboutirait à des phénomènes de favoritisme.

Ou bien on avantagerait ceux qui font le plus de bruit.

Et par manque de transparence, de nouvelles formes de pression émotionnelle apparaîtraient.

Mais si les modèles traditionnels ne sont pas satisfaisants, que faut-il mettre à la place ?

3.8.3.1. Équilibrer performance tactique et performance adaptative

Un premier point critique est d'équilibrer la stratégie avec les comportements adaptatifs.

Chaque individu doit poursuivre ses objectifs adaptatifs grâce aux différentes mesures déjà évoquées :

Les leaders doivent avoir une compréhension fine des facteurs de motivation au travail.

Les rôles doivent permettre aux équipes d'expérimenter et de voir l'impact de leurs tâches.

Les différents échelons professionnels doivent démontrer aux employés que l'évolution professionnelle se fait par l'acquisition de compétences.

Et l'esprit citoyen doit promouvoir des réflexes communautaires plutôt que concurrentiels au sein de l'entreprise.

En complément de cela, les objectifs tactiques doivent être pris en considération, comme le respect des délais de livraison et l'augmentation les parts de marché de l'entreprise.

3.8.3.2. Réaliser un calibrage

L'équilibre entre la performance tactique et adaptative n'est malheureusement pas une condition vers laquelle l'entreprise tends naturellement.

De nombreux chocs mettent cet équilibre en tension, comme par exemple un nouveau client, un nouveau manager, une technologie émergente.

Pour garder cet équilibre, il faut donc instaurer un système de calibrage.

Dans l'idéal, une équipe de calibrage, constituée par des responsables financiers et des leaders formés en motivation totale doit être constituée et se réunir tous les 6 mois.

Cette équipe décidera qui accède au prochain échelon professionnel.

En outre, chaque échelon professionnel doit être évalué indépendamment pour vérifier qu'il apporte une valeur économique à l'entreprise.

Et cette analyse doit être réalisée avant l'organisation de la réunion.

Si un échelon n'apporte pas suffisamment de valeur, il conviendra de vérifier pour quelle raison.

Par exemple : Est-ce que l'expert a l'occasion d'apporter de la valeur à l'ensemble de l'entreprise ? Est-il bloqué par la culture de l'entreprise ?

Au-delà de cette réunion, l'équipe devrait vérifier jour après jour que les expérimentations qui émergent des différentes équipes sont alignées aux objectifs tactiques de l'entreprise.

Notamment, elle devrait s'assurer que les expérimentations ayant donné les meilleurs résultats sont bien propagées à travers les équipes.

Dans le cas où l'on détecte un problème de performance systématique, il faudra s'assurer de ne pas tomber dans le biais du blâme.

L'évaluation devra tenir compte de toutes les circonstances.

Dans le cas où un collaborateur ne semble pas approprié à ses tâches, il faudra lancer un process séparé, étant donné que le calibrage doit être vu de façon positive et non punitive.

3.8.3.3. Retourner les revues de performance

Une autre manière prometteuse de réaliser des revues de performance est de retourner la revue de performance.

Au lieu d'évaluer les résultats (les sorties), on va évaluer les entrées de ces résultats.

Les entrées sont le travail qui aboutit à un résultat, comme par exemple le travail préliminaire réalisé par un commercial pour obtenir une vente.

Or, une vente peut avoir été réalisée par chance, simplement à cause de facteurs que le vendeur ne maîtrise pas, peut-être parce que le client avait désespérément besoin du produit.

Quand on obtient un bon résultat, il est trop facile de se dire que les entrées (le travail) a été de bonne qualité.

Pour bien s'assurer qu'il y a une relation de cause à effet, il faut s'assurer que le collaborateur utilise une méthodologie qui lui permet de répéter ce succès dans le futur.

Point72 est un fond d'investissement américain qui avait l'habitude d'assumer la corrélation entre les succès de ses gestionnaires de portefeuille et le travail réalisé pour obtenir ce succès.

Réalisant les inconvénients de cette approche, Point72 a totalement modifié son système de performance.

Les gestionnaires de portefeuille sont désormais suivis par des managers et des experts du risque qui les aident à analyser les données de leur performance en avance de la revue de performance.

Ces données les aident à réaliser un plan de développement de leur activité sur l'année suivante.

Cette étape les invite à l'introspection.

Ils doivent se demander :

  • Qu'est-ce qui a fonctionné ?
  • Qu'est qui doit changer ?
  • Quelle stratégie délivre le plus de résultats ?

Puis ils soumettent leur plan, qui sera évalué par les managers.

Cette procédure a déjà apporté de nombreuses idées d'amélioration au sein des collaborateurs.

Désormais, on ne regarde plus seulement les résultats obtenus pour évaluer un gestionnaire de portefeuille (les sorties).

Mais on accorde une importance particulière à la façon de travailler et de s'améliorer des collaborateurs (les entrées) .

Si bien qu'il est déjà arrivé qu'un gestionnaire de portefeuille soit récompensé alors qu'il avait réalisé une mauvaise année, simplement parce que son plan de développement était si perspicace.

Cette procédure a nécessité un changement en profondeur de la façon de travailler des collaborateurs, ce qui a provoqué quelques grognements au départ.

Mais les employés ont finalement réalisé l'utilité du nouveau système, désormais baptisé management prédictif de la performance.

4. Comment propager le mouvement de la motivation totale

Nous arrivons au terme de cet article.

Suite aux différentes mesures abordées pour bâtir une culture d'entreprise propice à la motivation au travail, vous vous demandez sans doute comment les appliquer.

Surtout si vous ressentez que votre entreprise n'utilise pas le plein potentiel des employés.

Votre premier réflexe pourrait être d'imposer ces différentes mesures.

Mais cela ne fonctionnerait pas, puisque ce serait contraire à l'esprit même de la motivation totale.

Pour réaliser le changement, il vous faudra deux choses : un groupe de leaders motivés et un mouvement social.

4.1. Les gardiens du feu

A l'ère préhistorique, les hommes ne savaient pas comment faire du feu.

Ils étaient donc obligés d'attendre qu'un éclair frappe un arbre pour ramener le feu au camp.

Une fois que la flamme avait été ramenée, un gardien veillait à ce qu'elle ne s'éteigne jamais.

Ce gardien du feu était très important car le feu jouait un grand rôle dans la survie du camp.

Si la flamme s'éteignait, la tribu devait attendre à nouveau qu'un éclair frappe un arbre, dans le froid et la peur des animaux sauvages.

Un peu dans le même esprit, la motivation des employés doit être sans cesse attisée grâce aux diverses clés de la culture.

Pour ce faire, il nous faut un groupe de personnes dédié.

Evidemment, le département des ressources humaines vient à l'esprit, puisqu'il est déjà le garant d'une partie de ces clés.

Mais cette responsabilité doit être élargie à un ensemble de personnes initiées à l'art de la motivation totale.

Il s'agit d'un groupe formé de responsables des ressources humaines et de leaders charismatiques, appelé parfois "comité de la culture d'entreprise".

Le rôle de ce groupe sera donc de s'assurer que les clés de la culture sont bien appliquées et assurent un haut niveau de motivation au travail.

D'après Neel Doshi et Lindsay McGregor, leur travail peut être décomposé en 6 activités :

4.1.1. Un mandat

Le but des gardiens du feu est de construire une culture et un système qui améliore la performance adaptative dans chaque rôle de l'organisation.

Ils doivent connaître quels sont les aspects du travail les plus soumis aux aléas chaotiques de l'environnement, pour pouvoir prioriser les clés de la culture qui apportent le plus de bénéfices.

Par exemple, on peut prioriser la performance adaptative au niveau des relations client chez Starbucks, ou bien dans la génération d'idées d'amélioration de la chaîne de montage chez un fabricant de voitures.

4.1.2. Des mesures de la performance adaptative

En complément des indicateurs tactiques, des mesures de la performance adaptative doivent être mises en place comme l'indice de motivation totale.

4.1.3. Un budget et un retour sur investissement

Grâce à l'indice de motivation totale, on peut chiffrer maintenant combien rapportent chaque point d'indice gagné, ce qui permet de mieux justifier les demandes de budget liées aux mesures à mettre en place.

Parfois, certaines mesures peuvent néanmoins être intégrés à des process existants, comme la formation des managers.

4.1.4. Une équipe

L'équipe ainsi formée devrait être menée par un officier en chef de la culture qui traite directement avec le PDG.

L'équipe inclut des membres permanents, comme le département RH ou les employés déjà en charge de certaines clés de la culture comme la qualité.

D'autres membres motivés doivent pouvoir obtenir cette opportunité pour compléter l'équipe sur la base d'une rotation d'une durée de 2 ans.

4.1.5. Un programme d'apprentissage

Les officiers de la culture doivent aussi obtenir les formations nécessaire dans l'art de la motivation des employés.

4.1.6. Des habitudes

Enfin, les activités de l'équipe doivent être orchestrées suivant des cadences bien définies, afin de constamment équilibrer la performance adaptative et tactique.

Par exemple :

  • Faire chaque mois une revue des différents objectifs d'apprentissage, et autres expérimentation en cours dans leurs groupes respectifs.
  • Évaluer chaque trimestre l'indice de motivation totale, les clés de la culture, les expérimentations du comité de culture, ainsi que les fonds alloués.
  • Présenter chaque année l'état de l'art de la culture et faire un brainstorming avec le comité d'administration.

4.2. Amorcer un mouvement social

Dans la nature, certains animaux comme les macaques ont la capacité de propager des comportement grâce à l'imitation.

C'est ainsi qu'un groupe de macaques au Japon a propagé l'habitude de laver leur patate douce dans la rivière avant de la manger, alors qu'ils l'essuyaient avec leur main auparavant.

Au bout de plusieurs années, tous les macaques lavaient leur patate.

C'est-à-dire que cet élément de culture s'était propagée au sein du groupe.

Dans les sociétés humaines, nous sommes plus sophistiqués.

Chez nous, les idées se propagent grâce au langage, à l'écriture et à l'internet.

Nous sommes capables de provoquer des révolutions en très peu de temps.

Cela grâce à un vecteur très puissant : le mouvement social.

Selon le sociologue Neil Smelser, 6 conditions sont nécessaires pour amorcer un mouvement social :

4.2.1. Un contrôle relâché

L'autorité dominante doit exercer un contrôle relâché, c'est-à-dire ne pas être d'humeur ou capable de réprimer le mouvement.

Dans l'entreprise, il suffit de s'assurer qu'on a suffisamment de marge de manoeuvre pour initier le mouvement.

4.2.2. Une croyance commune

Les individus doivent partager une vision commune du problème et une perspective commune sur la solution à adopter.

Dans l'entreprise, une croyance commune implique que les leaders influents comprennent l'importance de la notion de motivation totale.

4.2.3. Une frustration

Les individus doivent ressentir émotionnellement la différence entre l'état courant et l'état futur désiré.

Ceci ne devrait pas être difficile dans une culture d'entreprise toxique à la motivation des employés.

4.2.4. La conductivité

Les individus doivent être capables d'échanger leurs idées pour permettre une action commune.

Cela est facilité dans l'entreprise si un groupe informel de gardiens du feu se forme.

D'autre part, la motivation totale permet d'avoir un langage commun pour décrire le problème et ses solutions.

4.2.5. L'étincelle

Un catalyseur déclenche le passage à l'action.

Dans l'entreprise, il peut s'agir d'une nouvelle mission, d'une fusion d'entreprise, d'une crise, ou simplement de la lecture de cet article, ou du livre Primed to Perform.

4.2.6. La mobilisation

Un ensemble de process mobilisent les individus à agir collectivement, tout en gardant leur individualisme et leur adaptabilité.

Ceci peut être accompli en organisant des événements réguliers qui rythment les actions des gardiens du feu.

Conclusion

Au travers de cet article, nous avons vu que la motivation au travail influence considérablement la performance des équipes.

Nous avons vu qu'il existe deux facettes de la performance : la performance tactique et la performance adaptative.

Les 2 facettes de la performance sont nécessaires.

Cependant, l'importance de la performance adaptative est souvent sous-estimée : une grave erreur à l'heure où les entreprises sont confrontées à un environnement de plus en plus complexe et dynamique.

Comme nous l'avons vu, un employé peut être motivé par des motivateurs directs - le jeu, la finalité, le potentiel - ou des motivateurs indirects - la pression émotionnelle, la pression économique, l'inertie.

Le management traditionnel privilégie les motivateurs indirects.

Or, ceux-ci se focalisent uniquement sur la performance tactique, c'est-à-dire la mise en avant d'une stratégie, découpée en objectifs, mesurés et suivis sur des tableaux de bord dont dépendent les salaires.

Il en résulte toutes sortes de comportements indésirables tels que le court-termisme, l'individualisme et le focus sur la quantité plutôt que la qualité.

La solution est de favoriser les facteurs de motivation directs pour améliorer la performance adaptative.

En mesurant l'indice de motivation totale, nous pouvons obtenir une première estimation de la proportion des motivateurs directs sur les motivateurs indirects au sein de l'entreprise.

Pour l'améliorer, il s'agit ensuite de revoir de fond en comble la culture d'entreprise par divers moyens :

  • La formation des leaders à la motivation totale - autrement appelée théorie de l'auto-détermination - pour qu'ils comprennent l'importance de la performance adaptative et des motivateurs directs.
  • Doter l'entreprise d'une identité forte pour améliorer la motivation par la finalité
  • Redéfinir les rôles des employés, afin de donner une place à l'expérimentation au sein de leur activité, et de s'assurer qu'ils aient une meilleure visibilité de l'impact de leur travail, améliorant ainsi la motivation par le jeu
  • Instaurer de nouveaux parcours de carrière pour promouvoir les employés en fonction de leurs compétences dans d'autres domaines que la classique voie managériale.
  • Diminuer, voire supprimer le recours aux compensations basées sur la performance.
  • Encourager le civisme plutôt que la concurrence entre les employés.

Un point particulièrement crucial sera de rénover le système de performance pour s'assurer que la performance tactique et la performance adaptative sont bien équilibrés.

Notamment, celui-ci devra tenir compte non seulement des résultats, mais aussi des causes de ces résultats (est-ce que l'employé a eu de la chance ou bien a-t-il développé une réelle méthodologie de travail ?).

En outre, ce changement ne pourra se faire que par un travail régulier et cohérent sur la culture d'entreprise, sous l'impulsion d'un groupe d'experts de la motivation des employés : les gardiens du feu.

Si vous désirez démarrer le mouvement social qui aboutira à ces changements profonds de l'entreprise, il vous faudra aussi une étincelle de départ.

Ce pourrait être la lecture du livre Primed to Perform, le partage de cet article ou encore un objectif ou une mutation profonde dans votre entreprise.

Quoi qu'il en soit, il vous faudra beaucoup de patience, d'écoute et d'empathie.

Etes-vous prêt à enflammer la motivation au travail dans votre entreprise ?

Je vous souhaite bonne route sur le chemin de la motivation totale 🙂

Si cet article vous a inspiré, vous pouvez participer au mouvement par divers moyens :

  • Lire le livre Primed to Perform
  • Partager cet article
  • Mesurer votre indice de motivation totale sur le site primedtoperform.com
  • Vous inscrire au blog
  • Ou bien m'écrire dans le formulaire de contact si vous avez des questions
Author: Alexandre Philippe

Alexandre Philippe est le fondateur du blog C'éclair. Constamment en quête de nouvelles méthodes d'organisation, de motivation et d'apprentissage, il délivre ses éclairs d'efficacité chaque semaine sur ce blog.