Avez-vous parfois l’impression que vos supérieurs vous manipulent au bâton et à la carotte, c’est-à-dire à coup de punitions et de récompenses ?
Si l’époque de la révolution industrielle dénoncée par le film “Les temps moderne” est bel est bien derrière nous, certaines méthodes modernes de management laissent pourtant à désirer.
C’est peut-être même de pire en pire si l’on en croit l’actualité des affaires liées à la souffrance au travail. Et la pression sur les employés ne semble pas prête à se relâcher vu les défis récurrents auxquels est soumise notre économie aux prises avec la mondialisation.
Depuis Maslow, le père de la psychologie humaniste, nous avons pourtant appris que le plaisir au travail est une condition essentielle pour motiver le travailleur intellectuel. C’est le concept de motivation intrinsèque.
Dans cet article, je vous propose d’explorer ensemble trois besoins nécessaires à la motivation intrinsèque pour enfin apprécier vos journées de travail au lieu de les subir…
La motivation intrinsèque : c’est quoi ?
La motivation intrinsèque se définit par la poursuite d’une activité pour la satisfaction interne que l’on en tire, plutôt qu’une conséquence séparée.
Lorsqu’on est motivé par la motivation intrinsèque, on agit pour le plaisir
même de la tâche à accomplir, et non pas pour une récompense ou sous l’effet d’une menace externe.
Cela ne veut pas dire que vous n’allez pas chercher de récompense pour la tâche que vous avez faite. Mais simplement que ce n’est pas une condition suffisante.
Par exemple, même si vous êtes bon en mathématiques, cela ne veut pas dire que vous allez être motivé pour travailler dans la finance, même si vous avez de bonnes chances d’être grassement payé.
La théorie de l’autodétermination
Depuis les années 2000, Edward L. Deci et Richard M. Ryan ont popularisé une théorie qui réconcilie l’approche humaniste et l’approche comportementale de la motivation : la théorie de l’autodétermination.
Selon cette théorie, l’Homme est doté naturellement d’une tendance pour l’effort et la poursuite d’activités propices au développement de ses capacités humaines.
Mais elle précise aussi que cela n’arrive que dans un environnement adapté. D’où l’importance d’isoler les facteurs de motivation intrinsèque.
Cette théorie identifie trois besoins essentiels menant à une motivation intrinsèque optimale :
1. Le besoin d’autonomie
L’autonomie correspond au sentiment d’être à l’origine de ses actions. Cela ne signifie pas forcément l’absence d’une autorité car nous avons souvent besoin d’être guidés. Mais si nous n’avons plus notre mot à dire, on se sent contrôlé et on étouffe.
C’est pour cela qu’un professeur de piano autoritaire risque de vous dégoûter
en vous réprimant sans cesse ou en imposant les oeuvres que vous allez jouer sans tenir compte de vos goûts musicaux.
L’autonomie implique d’avoir la liberté de faire ses propres choix. Par exemple, certaines entreprises ont adopté un mode de travail appelé ROWE (Result Only Work Environment) où les employés planifient eux-mêmes leurs horaires de travail en fonction des objectifs qu’ils se sont fixés. Ils ne sont même pas obligés de travailler sur leur lieu de travail !
Citons aussi l’exemple de Google, notoirement connu pour allouer 20% du travail de ses employés à des projets personnels que les employés contrôlent entièrement : une mesure appelée innovation time off.
De nombreuses études prouvent que l’autonomie est le besoin le plus fondamental pour améliorer la motivation intrinsèque. L’autonomie améliore la productivité et la résilience, réduit l’épuisement au travail et provoque de plus hauts niveaux de bien-être.
2. Le besoin de compétence
La compétence correspond au sentiment d’efficacité sur son environnement. Un employé dont le besoin d’autonomie est satisfait aura tendance à s’engager plus étroitement dans son travail. Il aura alors envie de maîtriser de mieux en mieux son domaine de compétence.
Le besoin de compétence est particulièrement utile dans les métiers intellectuels. Car l’exécution de tâches complexes nécessite d’explorer sans cesse de nouvelles pistes de savoir plutôt que de se plier au conformisme habituel.
En améliorant ses compétences, le travailleur améliore grandement le plaisir au travail. Lorsque ce que nous faisons correspond étroitement à ce que nous savons faire, le corps et l’esprit agissent de concert de telle manière que l’effort devient un vrai délice. C’est ce que l’on appelle le flux (flow en anglais) : un état où l’on est complètement absorbé dans nos tâches.
En pratique, encourager le flux peut être accompli par des mesures aussi simples que de bien clarifier ses objectifs et de recevoir régulièrement des retours sur sa performance.
Ces objectifs doivent bien sûr être soigneusement calibrés pour correspondre au niveau de compétence actuel de la personne. Ainsi, nous prenons de plus en plus de plaisir dans nos tâches et nous accomplissons de mieux en mieux notre travail.
3. Le besoin d’affiliation
Le besoin d’affiliation ou d’appartenance sociale correspond au besoin d’être relié à autrui, et de partager des sentiments de sympathie et d’empathie.
Les deux besoins que nous venons de voir seraient insuffisants pour provoquer la motivation intrinsèque. En tant que créatures sociales, nous avons besoin de contact social, et nous le recherchons naturellement à travers des rencontres ou des interactions avec une ou plusieurs personnes.
La simple croyance que d’autres personnes ont de la reconnaissance, de l’attachement et de l’affection pour soi permet de satisfaire ce besoin.
On le voit très bien dans les jeux vidéo. Quasiment tous les titres les plus célèbres intègrent une option multijoueur, sans oublier l’un des jeux vidéo les plus anciens : Pong (une sorte de partie de tennis rudimentaire).
Aujourd’hui, ce besoin est d’ailleurs amplement satisfait avec les jeux massivement multi-joueur où l’on se regroupe dans des guildes ou des clans et où l’on participe même à de grands événements, tels que le blizzcon.
N’oublions pas également que ce rapprochement entre individus implique de regarder ensemble dans une même direction. Il faut une cause commune. On se ligue derrière une mission, on a des principes et des valeurs que l’on cherche à atteindre ensemble.
Certains projets libres sont presque entièrement conçus autour de ce besoin d’aspiration commune. On peut citer l’encyclopédie collaborative Wikipedia, une communauté de passionnés qui distribuent librement leur savoir, ou encore les programmeurs de Linux, véritables justiciers du logiciel libre.
Deci et Ryan indiquent que l’on peut distinguer deux types d’aspiration :
- les aspirations extrinsèques : devenir riche, devenir célèbre – des objectifs de profit.
- les aspirations intrinsèques : aider les autres, apprendre et développer ses capacités.
Devinez quelles sont les plus propices au bonheur ?
Si vous voulez en apprendre plus sur la motivation intrinsèque, je vous recommande ces deux livres basés sur la théorie de l’autodétermination :
- La vérité sur ce qui nous motive de Daniel H. Pink
- Why we do what we do de Edward L. Deci et Richard Flaste
Crédit photo : nyul
OK, super, entièrement d’accord.Mais je n’ai que très peu vu d’employés autonomes. Pourquoi ? l’autonomie n’est pas de la volonté du sujet mais plutôt du facteur. C’est à dire, dans ce cas,l’employeur. Vous connaissez des boites françaises qui donnent à la disposition des personnes des revues ou livres techniques concernant leur travail? Qui expriment clairement leurs objectifs ? Qui disent nous avons fait au lieu de J’ai fait ? “rétention d’information signifie volonté de prise de pouvoir” (approche systèmique): recherche-t-ils le pouvoir ou la rentabilité ? Pire j’ai pu observer les mêmes comportements dans l’administration et dans des associations gérant des bénévoles. C’est bien dommage
car l’observation des recommandations de ton article permettrait d’être rentable et surtout du plaisir. Autant que j’en ai eu à te lire.
Bonjour à tous.
Salut Alexandre !
Très intéressant cet article. Merci de l’avoir écrit 🙂
Je pense qu’il manque quand même 2 choses importantes quand on parle de motivation :
– les défis (besoin de progresser, d’avancer, de se dépasser)
– le sens (on peut sans doute rattacher le besoin d’affiliation au besoin de sens – le besoin d’affiliation me semble juste un peu trop restrictif)
En tout cas bravo pour cet article qui creuse bien le sujet.
Benoît
Bon, ben … Tu m’as coupé l’herbe sous le pied.
Ayant lu “La vérité sur ce qui nous motive”, je voulais écrire un article équivalent. Mais tu as été plus rapide …
Cela, je conseille très fortement la lecture de ce livre. Il servira à tout le monde : pour son propre quotidien et développement personnel, au responsable d’équipe, au patron, au prof, au parent … Presque un livre d’utilité publique 🙂
En plus, il est bien écrit et facile à lire. Et en fin, il fournit des méthodes pour travailler sa motivation ou celles d’autres personnes selon les conditions.
@Ivon : Merci pour le compliment. Je trouve que tu dresses un portrait un peu sévère des entreprises françaises. Améliorer l’autonomie des travailleurs ne passe pas forcément par des mesures radicales comme le ROWE et l’innovation time off. Il suffit parfois simplement de gagner la confiance de ses superviseurs pour qu’ils nous accordent un peu plus d’autonomie.
@Benoît : le besoin de progresser, pour moi est rempli par le 2). Pour le sens, je crois qu’on peut l’associer au 3) si l’on tient compte que ce qui réunit deux personnes est une vision commune.
D’ailleur Pink ne citait pas le besoin d’affiliation en tant que numéro 3, mais bien la “quête de sens” (purpose) 🙂
@Grégory : tu sais je ne suis pas le premier à parler de cette théorie, Michael d’Esprit Riche a déjà publié un article sur ce livre il y a longtemps. En plus j’ai juste effleuré quelques points du livre. Beaucoup des choses que j’ai écrites ne sont pas directement inspirées du livre mais de papiers sur Deci et Ryan. Donc je t’encourage à publier ton propre article, ce sera un bienfait pour tes lecteurs, et je serai content de le lire 🙂
La souffrance au travail est de plus en plus à la mode depuis l’apparition des primes aux résultats et des objectifs annuels.
C’est au détriment de l’humain que les managers stress de plus en plus les salariés…
Bonjour,
Merci pour cet article plein de bon sens. Les théories et les études sociologiques et psychologiques existent depuis longtemps en matière de motivation et de reconnaissance mais on se complaît à les ignorer. Ce qui est bien dommage. L’homme n’étant pas un animal pourquoi vouloir le faire réagir comme le chien de Pavlov? Le schéma carotte/bâton ou stimulus/réponse est la cause de bien des burn-out constatés aujourd’hui.
Cet article est vraiment passionnant. Le management de la récompense a trop longtemps substitué le management du sens.
Il y a une vidéo en anglais sur youtube qui résume en dessins le livre de Dan Pink “La vérité sur ce qui nous motive”. Parce que je me suis dit que ça intéresserait beaucoup de gens non anglophones de pouvoir la visionner, je l’ai traduite en français et je l’ai postée sur youtube et sur mon blog.
Merci pour tout Alexandre !
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