Le trou noir est un ogre intersidéral. Il avale tout ce qui passe à sa portée, y compris la lumière. Sa masse est telle que ce qu’il absorbe est déformé et surtout compacté à l’extrême. Rien ne peut le rassasier et aucun objet ne peut sortir de son emprise après avoir atteint le point de non retour.
Fort heureusement, personne n’a encore fait les frais de la force destructrice du trou noir. C’est même un objet théorique qui n’a jamais pu être observé ou détecté de manière directe. Par contre, il arrive que certaines situations de notre vie quotidienne nous rappellent étrangement ce phénomène.
La pauvreté
C’est ce qui m’a interpellé dans une scène du film Slumdog Millionnaire, où de riches touristes américains se font dépouiller. Le caractère principal, Jamal, est un enfant orphelin issu des bidonvilles(slum en anglais) de Mumbaï. Afin de survivre, il s’improvise guide touristique. Lors de la visite d’une tannerie, il commet un jour l’erreur (ou était-ce voulu?) de faire garer la voiture de ses clients dans un terrain vague. Une bande d’enfants s’empresse alors de dérober tout objet de valeur dans la voiture pendant leur absence.
Il est clair que des quartiers pauvres tels que des bidonvilles concentrent une telle quantité de nécessiteux que les besoins qui en émergent sont colossaux. L’effet d’aspiration est d’autant plus fort que ces besoins sont vitaux. On les retrouve tout en bas de la pyramide des besoins de Maslow, ce sont par exemple les besoins de manger, dormir, se réchauffer, etc. Ces besoins peuvent facilement l’emporter sur la conscience s’ils ne sont pas satisfaits. Et dans ces conditions, toute richesse qui passe à la portée de cet amas de besoins a de grandes chances de “disparaître” à jamais.
Tel le vrai trou noir qui aspire à l’infini, il est probable que la pauvreté du bidonville ne soit jamais résorbée, même si on injectais beaucoup de richesses. Ceci est largement dû à une certaine culture de la pauvreté, qui fait que les enfants sont socialisés dans des comportements et attitudes qui perpétuent leur incapacité à échapper à leur condition. Ceux-ci privilégient par exemple le gain facile au jour le jour plutôt que les bénéfices à long terme.
La précarité de ces milieux est alors propice à l’émergence de profiteurs. Dans le film Slumdog Millionnaire, on découvre ainsi le business peu scrupuleux d’un malfrat qui s’enrichit en faisant mendier des enfants. Celui-ci vise uniquement son intérêt personnel et a donc intérêt à maintenir ces enfants dans la pauvreté pour continuer à les asservir alors qu’ils grandissent. C’est pourquoi il rends aveugle un des enfants, réduisant à néant les chances d’émancipation de celui-ci. Le bidonville est en ce sens un espace où règne la loi du plus fort. Ceux qui arrivent à dominer sont en général les premier à bénéficier de la richesse qui se présente, au détriment des autres, ainsi maintenus dans la pauvreté.
Le matérialisme
On peut faire le même constat à l’échelle d’un pays. On sait bien par exemple que l’aide apportée à certains pays du tiers monde n’a d’effet concret que sur les dirigeants et une quantité réduite de privilégiés, qui accumulent la richesse sans jamais la redistribuer. Elle repart cependant la plupart du temps dans les pays riches sous forme d’achat de produits de luxe (voir les affaires françaises de “Papa” Bongo).
Le trou noir peut donc aussi représenter le matérialisme, et à une plus grande échelle la société de consommation. Nous accumulons sans cesse de nouveaux biens, tandis que ceux qu’on possède se détériorent plus ou moins lentement. Et notre appétit est insatiable : il nous faut sans cesse des nouveautés, répondant à un nombre croissant de besoins.
Beaucoup d’entre nous sont même devenus des collectionneurs, accumulant sans cesse le même type d’objet à l’infini. Et comme vous le voyez, je ne suis pas épargné puisque je collectionne désormais les métaphores!
Comme quoi, le matérialisme peut aussi concerner le savoir, notamment via les livres. Par exemple certains blogs tels que Des livres pour changer de vie et Les livres de Benjamin se spécialisent sur ce créneau. Le danger est alors d’accumuler le savoir sans jamais l’appliquer. Par perfectionnisme, on préfère critiquer qu’agir, notamment pour ne pas subir à notre tour le jugement des autres, comme l’explique CoachDom dans son article La voie du coeur.
La mauvaise fortune et le malheur
Certaines personnes sont parfois des trous noirs à eux tous seul, accumulant inexorablement la mauvaise fortune et le malheur. Dans le livre Les 48 loies du pouvoir, on nous cite l’histoire de Lola Montez en exemple. Cette danseuse utilisa son charme ravageur pour gagner sa vie en tant que courtisane auprès d’hommes puissants et riches. Peu après les avoir rencontrés, ils sont tous comme ensorcelés. Prisonniers de ses sautes d’humeur et de son arrogance, elle précipita la ruine de la plupart d’entre eux.
Bien que ce soit moralement tentant, aider une personne qui se noie peut donc parfois nous faire basculer dans la même situation. Mieux vaut donc éviter de s’associer avec des personnalités qui attirent le malheur et la mauvaise fortune sur elles, par exemple celles qui sont émotionnellement instable ou violentes par nature.
Parfois, ces personnes forment même des réseaux. Ce sont les mafias, les sectes et autres mouvements intégristes religieux. Faire l’erreur de les fréquenter, c’est s’exposer à de grave périls. D’autant plus qu’il est extrêmement difficile de s’en extirper une fois qu’on est rentré dans leur sphère d’influence.
D’un autre côté, il est des personnes qui semblent attirer le bonheur grâce à leur bonne humeur, leur dynamisme et leur intelligence. Ce sont celles avec qui l’on doit s’associer pour profiter de la prospérité qu’ils canalisent vers eux-même.
La déchèterie
Le trou noir est également très pratique lorsqu’on cherche à se débarrasser de nos déchets. Puisqu’il semble que rien ne puisse sortir de l’emprise du trou noir, ce serait donc la déchèterie parfaite! Aussi a-t-on pris de tout temps les rivières et les océans comme d’immenses trous noirs/vides ordures, où nos déchets sont emportées au loin et à jamais.
L’embêtant, c’est que le trou noir a aussi son symétrique : la fontaine blanche, qui recrache ce que le trou noir a aspiré. Ainsi, les polluants déversés dans les étendues d’eau nous reviennent finalement d’une manière ou d’une autre. Parfois ce sont les poissons que nous consommons qui sont devenus incomestibles. Parfois même, l’étendue d’eau s’est retirée, comme en Mer d’Aral, laissant à l’air libre les dangereux pesticides et insecticides qui se sont accumulés au fond du bassin. La population exposée contracte ensuite de graves maladies.
De manière plus sournoise, les pays développés ont parfois tendance à faire des cadeaux empoisonnés aux pays pauvres. On se débarrasse ainsi de nos vieux ordinateurs et ne nos vieilles machines outils devenues obsolètes.
Le site facile.ch dénonce très bien tout cela dans une série d’articles sur le concept du trou noir/poubelle, à prendre au second degré bien sûr :
Trou noir. (1) la création
Trou noir. (2) comment ça marche?
Trou noir. (3) on en fait quoi?
Trou noir. (4) zut, ça ressort!
Conclusion
C’est ainsi que se termine notre exploration de la métaphore du trou noir, en quelque sorte une reprise du concept de puits sans fond.
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J’ai lu ton article avec beaucoup d’intérêt.
J’ai eu la chance de suivre des cours d’économie durant le le master en management que je suis actuellement (y’a pas d’âge pour apprendre 🙂
J’en ai tiré quelques concepts clés, notamment sur les flux financiers macro-économiques. Comme tu le dis si bien sur le matérialisme, l’injection de fonds dans pays en voi de développement ne profitera généralement qu’à quelques uns (il n’y a qu’à voir les scandales sur les aides lors du tsunami an Asie).
Mais à bien y réfléchir, au delà de son application à un pays, on peut sans doute appliquer la théorie du trou noir à la planète entière ?
Regardons de très haut les mécanismes qui ont conduit le monde dans la crise actuelle: les crédits hypothécaires ne sont à mon sens que la goûte d’eau qui a fait éclater le système. En effet, si la distribution de richesse n’est pas épaulée par son équivalent en création de valeur, on s’engouffre dans un système voué à sa perte. Ainsi, depuis des années, l’argent a coulé à flot dans le cadre de bonus – et pas seulement sur les places boursières, mais dans l’ensemble des grandes entreprises-. On a créé de l’argent ex nihilo sans aucune contrepartie en terme de création de valeur. Selon moi, la crise n’est que le premier symptôme d’un mécanisme faussé, auquel il est grand temps de mettre des règles. Et c’est dans cette idée que le concept de trou noir s’applique clairement !
Merci encore pour ton article.
Jeff
J’ai beaucoup apprécié ton article. Complet, enrichissant et très éclairant sur plusieurs aspects de notre vie quotidienne et de tous les déboires socio-économiques qui perturbent notre mode de vie ! Si tu es d’accord, j’aimerais beaucoup mettre ton article sur mon blog avec toutes tes coordonnées.
À très bientôt !
Jocelyne
Pingback: www.fuzz.fr
@Jean-François Gautier : Belle réflexion! Le système financier m’a toujours fasciné, mais j’ai encore tant à apprendre. Un jour j’ai demandé à mon oncle : comment se fait-il que la banque centrale ne fabrique pas plein de billet pour s’enrichir elle-même.
Ce à quoi il m’a répondu qu’il y aurait une dévaluation de l’argent. Et là j’ai pas bien compris : les gens vont mettre un sacré bout de temps avant de se rendre compte que des billets ont été produits en plus!
De la même manière, on a créé de l’argent, mais de façon dissimulée, par l’endettement basé sur du vent.
C’est comme si le trou noir n’aspire pas seulement de la matière mais même de l’anti-matière(les dettes, la richesse qui n’a pas d’existence physique)!!
@Jocelyne : je préfèrerais dans la mesure du possible que tu ne reprennes pas l’article tel quel en entier,
Car le contenu dupliqué risquerait de porter atteinte à notre réputation mutuelle au point de vue des moteurs de recherche.
Mais bien sûr tu peux faire un résumé des points importants ou paraphraser, et le visiteur pourrait aller voir l’article en entier via le lien s’il en a envie.
Je suis content que l’article t’ai plu!
Merci Arcangel Pour la référence à un de mes articles 🙂 Ca me fait plaisir 😀
Très bon article!
@Jean-François Gautier : après réflexion, je crois que le concept d’anti-matière est très porteur pour qualifier la crise actuelle.
Explication : les ménages, qui représentent un trou noir de besoins à assouvir, aspirent régulièrement des richesses(la matière) grâce à leur revenu. Seulement certains aspirent aussi des créances douteuses et dettes à outrance(l’anti-matière). Si l’anti-matière qu’ils ont aspiré est plus massive que la matière qu’ils ont aspiré, la matière est bientôt annulée par une partie de l’antimatière. Et il ne reste plus que l’anti-matière restante.
Comme ils peuvent faire faillite(destruction du trou noir), cette anti-matière se répercute alors sur les autres trous-noirs, qui sont à leur tour menacés!
La bulle financière est en somme un excédant d’anti-matière(dettes) prêt à annuler la matière(les richesses) à grande échelle à un moment ou à un autre.
@Alexandre: Ta réflexion sur la matière et l’antimatière me paraît tout à fait appropriée. Au final, dès q’un déséquilibre vient rompre le fonctionne huilé d’un modèle, on obtient une chaîne d’explosions sans fin. L’effet papillon, quoi 🙂
Cela dit, je verrai d’avantage d’avantage les flux financiers comme la chute d’eau d’Escher (http://www.moillusions.com/2006/04/eschers-waterfall-contructed-in-3d.html): un circuit sans fin entre le consommateur qui alimente pas son achat l’industrie, qui rémunère ses salariés qui deviennent à leur tour consommateurs. Le mouvement perpétuel, finalement, qui sera brisé à la moindre fuite d’eau, où, pour une autre parabole, si des éponges se mettent à se gorger d’eau. Peut-être que c’est ici que devrait intervenir le législateur, histoire que le pompe ne soit pas désamorcé par ces éponges…
Tu fais aussi allusion dans ton commentaire à l’argent issu de la dette;
Peut-être as-tu vu une vidéo, très bien faite, et qui a eu pasmal de succès sur le net au sujet de l’argent-dette: .
Amicalement,
PS: désolé pour l’orthographe de mon premier commentaire (dur de commenter au réveil 🙂
heu.. l’adresse de la vidéo sur l’argent-dette (qui n’est pas passée dans mon mail:
http://www.dailymotion.com/video/x75e0k_largent-dette-de-paul-grignon-fr-in_news
Article très intéressant et enrichissant. Merci !!
Merci Alexandre pour cet article excellentissime.
Très bonne analyse socio-économique.
Et en plus c’est très bien écrit et agréable à lire ce qui, bien sûr, ne gâche rien.
A bientôt
@Jean François Gautier : merci pour le lien. J’ai vu la vidéo, mais je crois qu’il y a du vrai et du faux là dedans. Et je me méfie de ce genre de vidéo destinée à faire du sensationnel pour un effet viral adéquat.
@Danos1, Guillaume : merci pour votre soutien!
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