Cet article est ma contribution au festival A la Croisée des Blogs de janvier 2013 sur le thème un autre regard pour avancer organisé par Philippe du blog Apprendre sur soi et avancer.
Sous le soleil de plomb australien se joue une scène aussi cocasse qu’inattendue. Sur le bord de la route, plusieurs bouteilles de bière sont prises d’assaut par des scarabées mâles en rut.
Captivés par la robe marron-orangée de ces bouteilles abandonnées, ils s’acharnent sans relâche à s’accoupler avec elles… sans se douter qu’ils ne pourront jamais leur donner de petits scarabées…
Leur ardeur est telle qu’ils se laissent même mourir d’épuisement, dévorés par des fourmis géantes ou dorés à point par le soleil brûlant.
Il s’agit bien sûr d’une malencontreuse erreur. Car ces bouteilles de bière ressemblent comme deux gouttes d’eau (en tout cas du point de vue d’un scarabée…) à une méga femelle géante !
La couleur est plus vraie que nature et les petites bosses sur le culot de la bouteille ressemblent même aux motifs des élytres de scarabée. Alors comment résister à cette belle inconnue aux atouts si convainquant ? Apparemment, il y a de quoi délaisser les vraies femelles pour tenter l’aventure.
Cette méprise animalière n’est pas la seule du genre. Dans son dernier article, Niels Eyal cite d’autres cas.
Par exemple les épinoches. Ces petits poissons d’eau douce ne sont guère plus subtils. Durant la nidification, le mâle s’attaque à tout ce qui est de couleur rouge, même lorsqu’on lui présente un leurre inanimé très grossier de cette couleur. Tout cela pour défendre ses oeufs contre ses rivaux, sachant que les mâles épinoches arborent une couleur rouge flamboyante à cette période.
C’est le cas aussi des oiseaux. Lorsqu’on glisse dans leur nid des oeufs factices plus gros que les autres, ils se mettent à les couver avec plus d’attention. Car ces oeufs apparemment mieux portant que la moyenne, semblent avoir plus de chance de survivre. Le coucou l’a bien compris, puisqu’il se contente de déposer ses oeufs dans le nid des autres espèces plus petites pour qu’ils élèvent sa progéniture à sa place.
Ces comportements inadéquats sont des mécanismes de déclenchement quasi automatiques façonnés par l’évolution des espèces. Ils fonctionnent habituellement très bien dans un environnement naturel. Mais il est clair qu’on peut les détourner très facilement.
Pourtant ne vous moquez pas si vite, car les animaux ne sont pas les seuls à tomber dans le panneau. En tant qu’être humain, n’oublions pas que notre cerveau contient aussi une partie primitive responsable des comportements automatiques nécessaires à notre survie.
C’est ce qui explique que nous soyons si friands de sensations démesurées. Le parallèle est flagrant lorsqu’on pense à la chirurgie esthétique ou à l’industrie florissante du porno.
Chez les marketeurs, on s’en donne à coeur joie. On vous vend du rêve, du brillant, du magique, et surtout du nouveau ! Car ce qui est nouveau a toujours un attrait spécial à nos yeux. Si bien que nous sommes condamnés à consommer, ne sachant jamais nous contenter de ce que nous possédons déjà.
La technologie achève enfin de bousculer nos vies avec son lot de gadgets "sexy", de jeux vidéos captivants et de réseaux sociaux redoublant d’ingéniosité pour nous faire croire qu’on s’amuse davantage en communiquant derrière une machine que par des relations traditionnelles en face à face.
Lorsqu’on sait que le cerveau évolue constamment tout au long de la vie – une théorie qu’on appelle la neuroplasticité – il est inquiétant d’imaginer comment il s’adaptera à cette surenchère de sensations fortes.
Si nous nous habituons à réagir et à recevoir ce type de récompenses XXL au rythme effréné que nous imposent les nouvelles technologies, il est probable que nous recherchions de plus en plus cette expérience plutôt que la réalité du monde concret qui nous entoure. Nous serions alors devenus de véritables accrocs aux sensations fortes.
Ce rythme intense doperait également notre impulsivité et notre impatience, nous poussant à privilégier des formes de plaisir immédiat aux dépens d’expériences plus constructives sur le long terme. Un cauchemar pour notre autodiscipline !
Nous avons pourtant une carte à jouer, celle qui nous distingue de l’animal : notre conscience. Nous sommes équipés d’un cortex préfrontal, la partie du cerveau capable d’analyser et de prendre des décisions réfléchies.
Seulement cette partie du cerveau est plus lente à agir. Du coup elle se fait trop souvent court-circuiter par les interruptions auxquelles nous soumet copieusement notre mode de vie moderne : un coup de téléphone, une publicité, une notification d’email, un nouveau message facebook, etc. A force, c’est le cerveau lui-même qui en redemande et se charge de s’interrompre lui-même.
Alors comment rompre cet enchantement ? La recette tient en un mot : ra-len-tir. Prendre le temps de réfléchir et d’évaluer la situation sous la perspective du bien-être à long terme.
Ainsi peut-on déjouer le piège des plaisirs artificiels que l’on nous tend pour se recentrer constamment sur les fondements d’un bonheur durable et authentique.
bonjour et merci pour vos articles… les messages véhiculés la plupart du temps par des analogies, des métaphores rendent les idées développées extrêmement pertinentes (à mon avis…)
encore un grand merci et une belle journée…
au plaisir… de la prochaine “lettre”
Annie
Merci Annie ! Voilà un message très encourageant. Au plaisir de se recroiser 🙂
Nous vivons dans une société de plus en plus matérialiste, dans laquelle la consommation à outrance est le but ultime.
La publicité nous fait croire à longueur de journée et en toute occasion, qu’acquérir tel ou tel objet caractérise notre rang dans la société et pire, détermine notre bonheur.
Le problème est que de vouloir posséder sans cesse le dernier gadget à la mode, ou autre objet autant inutile que factice nous entraîne dans l’insatisfaction permanente.
Il nous faut toujours et toujours plus.
Difficile de s’arrêter quand on ne prend pas de recul. D’où la nécessité de ralentir, comme tu nous le rappelle dans cet article de qualité, autant du point de vue de la forme que du fond.
Merci.
Dominique
Je suis mort de rires !!!
J’adore cet article
Bravo !
Pour ralentir,il faut d’abord avoir envie de ce que vous appelez le bien être à long terme et peut être que le long terme n’est pas dans l’air du temps et dessert la société de consommation.
Pour moi, ralentir c’est permettre une observation plus fine de nos actions afin de séparer le bon grain de l’ivraie.
Moi j’ai pas beaucoup de choses à dire la-dessus. Mais seulement cet article n’est pas mal du tout!!!
@Dominique : hello, merci pour le commentaire 🙂
@Maxime : content que l’article te plaise 🙂
@Christian : c’est vrai que parfois on ne se rend pas compte que le monde change, et que ce que nous faisons actuellement détermine notre vie future. C’est notamment le cas des ados qui ne se rendent pas encore compte que leur corps est un capital qui va les suivre tout au long de leur vie, et qu’en l’abîmant prématurément (en se droguant ou en mangeant de la junk food), ils prennent en otage leur futur bien-être.
A++
@faez : tu peux en parler dans les commentaires si tu veux. A bientôt
Bonjour
très parlant comme analogie. J’aime beaucoup ce ton décalé.
Effectivement , la conscience et plus la prise de conscience nous distingue. Quoique , des fois on pourrait douter quand on voit ce qui se passe dans le monde ?
Au plaisir de te lire à nouveau
Phil
Hello Alexandre,
Merci pour ta participation avec cette belle éloge de la lenteur.
Au début je me demandais un peu où tu voulais en venir, mais la conclusion me plait vraiment bien : ralentir peut permettre d’être tellement plus efficace…
🙂
Intéressant ton point de vue Alexandre sur la neuroplasticité et l’évolution du cerveau.
Moi je pensais à cette génération né à l’époque des iPhone, des tablettes IPad. Ils sont nés à une époque les technologies de communications est en train de s’envoler.
Je suis stupéfié de voir mon petit cousin de 4ans se servir d’un iPad avec une facilité déconcertante.
Qu’est-ce que va donner dans 10 ou 20 ans? Je suis pas certain que les gens utilisent ces outils comme des shoots de sensations fortes, mais plus comme des moyens de véritablement connecter dans un monde ou nous sommes tous seuls.
J’espère que nous ferons bon usage de toutes ces technologies.
Salut Argancel,
le monde est aujourd’hui dominé par la publicité et notre cerveau s’y adapte très facilement. Car dès qu’un produit sort et qu’on vante ces mérite, immédiatement on cherche à l’avoir.
Ma philosophie est de plutôt savoir se contenter de ce qu’on possède tout en se demandant si le nouvel appareil aura vraiment un apport par rapport à l’ancien.
Si la réponse est oui, on peut le changer, mais si la réponse est non, alors on reste avec son vieil outil.
Amicalement,
Samuel