Avez-vous parfois du mal à respecter vos résolutions ?
Prenons un exemple concret : nous sommes vendredi et comme chaque vendredi, René part au resto pour se récompenser d’une semaine de travail bien remplie.
René choisi d’habitude de manger au Mac Do. Mais aujourd’hui, René a reçu le prospectus d’un restaurant à sushis. Alors il se dit : "Tiens, pourquoi pas ? Ca a l’air vraiment délicieux. En plus ce serait nettement meilleur pour ma santé !".
Le resto est quand même à vingt minutes de marche. Mais bon après tout c’est sur le chemin du Mac Do, et ce n’est pas beaucoup plus loin. Alors le voilà parti…
Un quart d’heure plus tard, René passe devant son Mac Do habituel. Machinalement, il jette un petit coup d’oeil à l’intérieur.
Puis soudain il remarque à travers la vitre un client engouffrant avec grand plaisir son burger préféré !
Salivant comme un chien affamé, René ne peut plus résister… il entre et commande immédiatement le même menu.
Est-ce étonnant ? Non bien sûr. En fait, c’est un grand classique.
Confrontés à la perspective d’une gratification immédiate, nous avons tous tendance à succomber à la tentation même si nous pouvons obtenir mieux en patientant plus longtemps.
Pourtant, ce n’est pas une fatalité…
Anticiper la faiblesse de volonté
Réfléchissons un peu. Comment René aurait-il pu s’y prendre pour respecter son plan initial ?
Vous vous souvenez probablement de l’histoire d’Ulysse et les Sirènes dans l’Odyssée.
Ulysse fût prévenu qu’il courrait un grave danger. Car il devait passer près de l’endroit où vivaient les Sirènes, dont le chant envoutait les marins et provoquait leur naufrage.
Il demanda alors à son équipage de mettre des bouchons de cire dans leurs oreilles pour ne pas entendre leur chant. Quant à lui, comme il voulait entendre leur voix, il demanda qu’on l’attache solidement au mât du navire. Et c’est ainsi qu’Ulysse réussit à leur résister.
Ulysse a utilisé deux "dispositifs de pré-engagement" : les bouchons de cire, et les liens qui le maintenaient au mât. Grâce à ces deux dispositifs, il s’est engagé de manière préventive pour ne pas céder à la tentation au moment où il y serait confronté (on parle aussi de détrompeur).
Ainsi René aurait pu par exemple aller au resto avec un ami amateur de sushis, qui lui aurait bien fait comprendre qu’il ne comptait pas s’arrêter au Mac Do. Ou bien il aurait pu passer par un autre chemin qui lui aurait évité d’être soumis à la tentation.
Cependant ce ne sont pas des solutions parfaites, car :
- d’une part René ne peut pas toujours prévoir ses faiblesses de volonté
- d’autre part il s’agit d’une béquille dont il ne doit pas devenir dépendant puisqu’il n’aura pas toujours accès à de tels dispositifs
Adopter une règle personnelle
Prises séparément, les épreuves d’autodiscipline que subit René sont vouées à l’échec.
Des études montrent que nous avons un "biais pour le présent". Nous avons tendance à privilégier ce que nous pouvons obtenir au plus vite, même si patienter offre plus de bénéfices.
Par contre, lorsque des épreuves similaires se multiplient, nous sommes capables de résister bien plus efficacement. Pourquoi ? Eh bien parce que les bénéfices à long terme s’additionnent au point que cela devient plus intéressant que de céder à la tentation.
Admettons que René ait pris la résolution d’économiser chaque mois 300 euros. S’il voyait ça comme une expérience unique, il aurait à choisir entre dépenser ses 300 euros tout de suite, ou avoir 300 euros à la fin du mois. Cette récompense n’est peut-être pas suffisante pour l’inciter à résister à la tentation.
Par contre, s’il voit ça comme une succession d’épreuves, il sait qu’au bout d’un moment, il pourra s’acheter un appartement qu’il pourra louer. La récompense sera suffisante pour le motiver.
De plus, à chaque fois qu’il aura envie de céder à la tentation, René réfléchira à deux fois. Car s’il cède, cela créerait un précédent qui risquerait de le démotiver et de compromettre toute la chaîne d’épreuves. D’où une perte beaucoup plus importante que si l’épreuve avait été isolée.
Adopter une règle personnelle à long terme est donc beaucoup plus efficace que d’agir sur un coup de tête isolé.
Avec le temps, celle-ci a même tendance à se renforcer car elle met en jeu notre propre réputation personnelle.
Le casse-tête de Kavka
Imaginez l’expérience suivante : un milliardaire excentrique vous tend une fiole de toxines. Si vous la buvez, vous allez être malade toute la journée, mais cela ne menacera pas votre vie, et n’aura pas d’effet à long terme.
Le milliardaire vous explique qu’il vous donnera un million d’euros demain matin si à minuit ce soir, vous avez l’intention de boire la fiole demain après-midi.
Il souligne bien que vous n’avez pas besoin de boire la fiole de toxines pour recevoir l’argent. En fait la somme sera déjà versée sur votre compte en banque quelques heures avant que l’heure de boire la fiole n’arrive.
Pour cela, il vous suffit que ce soir à minuit, vous ayez l’intention de boire la fiole demain après-midi. Vous êtes tout à fait libre de changer d’avis après avoir reçu l’argent et de ne pas boire la fiole.
Protéger sa réputation personnelle
L’expérience de Kavka est paradoxale car on ne peut pas avoir l’intention de faire ce que l’on sait qu’on ne va pas faire.
Pourtant ce casse-tête a une solution simple. Si vous avez l’intention de boire la fiole, eh bien vous allez boire la fiole même si ce n’est pas à priori dans votre intérêt !
Pourquoi ? Eh bien tout simplement pour protéger votre réputation personnelle.
Ici je parle bien de réputation personnelle et non pas de réputation publique. En d’autres mots, vous allez boire la fiole parce que votre image personnelle à vos propres yeux est menacée. Votre besoin d’intégrité personnelle vous y oblige.
Quel rapport avec les règles personnelles ?
Eh bien suivre une règle personnelle pendant un certain labs de temps va alimenter votre "capital de réputation" envers cette règle.
Ce qui n’était qu’une résolution possible parmi d’autres au début de la série d’épreuves devient LA fameuse règle de vie que vous avez appliquée durant toute une année.
Vous êtes bien moins enclin de briser cette chaîne vertueuse lorsqu’autant de chemin a été parcouru.
Solidifier une règle personnelle
Malgré tout, une règle personnelle peut être menacée par plusieurs facteurs.
D’abord, vous pouvez oublier ou ne pas être conscient de vos performances passées. Comme nous l’avons vu dans l’article sur le perfectionnisme, certaines personnes très exigeantes envers elles-mêmes ont tendance à ignorer leurs succès passés.
Dans ce cas précis, vous pourrez éventuellement utiliser un journal pour en garder une trace ou le calendrier de performance que je vous avais proposé sur ce blog.
Une règle personnelle peut aussi être constamment bafouée si elle est imprécise.
Par exemple si vous vous dites : “A partir d’aujourd’hui j’économise !” sans préciser le montant, vous pouvez tout aussi bien économiser 1 euro pendant un mois, et vous aurez respecté votre règle, alors qu’originellement, ce n’est pas ce que vous entendiez par "économiser".
Ce genre de "marchandage" peut être évité en choisissant des règles limpides. Lorsque vous adoptez une règle personnelle, établissez d’entrée de jeu une ligne de démarcation claire entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.
Ainsi votre règle sera beaucoup moins sujette aux dérapages en tout genre.
On récapitule
Voici les points à retenir pour améliorer votre autodiscipline :
- Plutôt que d’agir sur des coups de tête, établissez des règles personnelles à long terme
- Lorsque vous êtes tenté de déroger à la règle, ayez conscience que votre dérapage risque de compromettre l’ensemble de la règle
- Gardez une trace de vos performances passées pour vous motiver à persévérer
- Clarifiez correctement votre règle pour éviter les dérapages
Dis, c’est presqu’un eBook ton article! très bien structuré, très intéressant.
Merci beaucoup!
Marie-Noël
merci beaucoup. Très utile comme toujours.
Merci beaucoup Alexandre pour tout tes articles de qualités. Cela m’inspire pour appliquer ces conseils dans le domaine de l’apprentissage des langues (une résolution à vie)
Merci Alexandre pour cet excellent article ! J’étais en recherche de conseils pour structurer mon apprentissage de l’espagnol, car l’autodiscipline a tendance à me faire défaut. C’était exactement ce qu’il me fallait !
Je rajouterais juste : la règle numéro 1 c’est : tenir les règles !
Merci pour cet article, j’aime beaucoup les détrompeurs, ces stratégies qui prévoient qu’on sera tenté de faire quelque chose que l’on risque de regretter.
J’utilise cela de temps à autre mais là ça me donne encore plein d’idées pour mes objectifs personnels !
Merci.
brice
“L’expérience de Kavka est paradoxale car on ne peut pas avoir l’intention de faire ce que l’on sait qu’on ne va pas faire.
Pourtant ce casse-tête a une solution simple. Si vous avez l’intention de boire la fiole, eh bien vous allez boire la fiole même si ce n’est pas à priori dans votre intérêt !”
Boire la fiole sous le seul prétexte qu’on a eu l’intention de le faire ? Ah ça non =).
On peut avoir l’intention de faire quelque chose et finalement ne pas le faire pour de très nombreuses raisons (trop long à énumérer). Il suffit pour cela de se pencher ne serait-ce qu’un peu sur la psychologie de base et des théories de comportements. Des tas de facteurs entre en compte dans la réalisation d’un acte. Il a été démontré à de multiples reprises que l’intention n’est pas prédictive du comportement.
Combien de personnes ont dit dans leur vie “JAMAIS je ne fumerai” et sont aujourd’hui des fumeurs réguliers ?
Il y a un livre qui explique de façon très claire pourquoi malgré toutes nos connaissances (mais non exhaustives bien sûr) sur ce qu’il vaut mieux faire pour notre santé, on ne le fait pas : Psychologie de la santé, de Jane Ogden (Edition “De Boeck”, collection “Ouvertures psychologiques”
Les modèles expliqués se déclinent également sur d’autres sujets, pas que sur la santé. Mais venant juste de finir celui-ci et n’ayant pas encore lu les autres livres de la même collection (une grosse pile m’attend !), je ne me permets pas de les mentionner, d’autant qu’à mon avis, ils se complèteront beaucoup. Toutefois, je me permets de penser que “Psychologie du jugement et de la décision” est à même d’apporter une bonne partie des réponses…
Sur ce 😉 !
PS : non, je n’ai aucun lien avec De Boeck ^^ ! Je conseille sa collection Ouvertures psychologiques simplement parce que je la trouve à la fois suffisamment approfondie pour ne pas se sentir lésé mais suffisamment claire pour tout comprendre même sans avoir fait d’études en psychologie.
Intéressant ce paradoxe de Kavka !
Je pense effectivement que de nombreuses personnes vont quand même boire la fiole en vertu du principe de réciprocité tellement étudié en psychologie sociale.
C’est un principe largement exploit par les manipulateur !
Super article !
Je viens de découvrir ton blog et vraiment c’est un super boulot. Bravo à toi !
Bonsoir Alexandre,
Ma 1ere expérience en la matière je l’ai connu dans le sport.
Pour me défouler je faisais du footing quand j’étais étudiant. Mais en fait j’aime pas trop ça (comme beaucoup ?) et je ne finissais jamais mon programme prévu. Et j’étais jamais défoulé !
Et puis un jour j’ai décidé que désormais, je finirais toujours un tour que j’avais entamé. Je savais que c’était le prix pour le bien-être “à la fin”.
Je n’ai jamais failli à ma règle; mais les 1er temps, je finissais mon dernier tour presque en rampant.
Et t’as raison, cette notion de “réputation personnelle” entre en jeu avec le temps. On ne veux pas défaillir face à soit même.
Mais ce qui est étonnant c’est combien notre capacité à relever le défi s’accroit avec le temps.
Notre corps est fait de muscles, mais notre cerveau est un muscle lui aussi !
Et si on l’entraine, il devient plus fort (ou moins faible), chaque jours un peu plus. Et finalement la dessus se construit une confiance en soit …
Personnellement instaurer des règles entre moi et moi, et les respecter coute que coute, ça a jalonné mon parcours, pour le meilleur !
A bientôt,
Olivier
Excellent article, j’ai apprécié l’angle réputation envers soi-même qui est un levier extrêmement puissant.
Merci pour vos commentaires !
@Marie-Noel : Merci ! J’avoue qu’à la fin de l’article, je me suis demandé si j’avais pas abusé sur la longueur…
@denys : merci 🙂
@Sam : je crois qu’on s’inspire mutuellement, mosa-lingua est une très belle success story
@Jérémy : oui, et peut-être se les noter dans un coin, au cas où on les oublie avec l’écume des jours !
@Brice : en fait les détrompeurs, on les utilise tous les jours dans quantités de domaines dont nous ne sommes même pas conscient, une aide bien précieuse pour canaliser notre énergie là où il faut.
@Aurore : pour nous départager, je crois qu’il faudrait réaliser l’expérience… malheureusement je ne suis pas milliardaire, et même si je l’étais je ne crois pas que je serais assez farfelu pour la tenter 😉
Pour aller plus loin, je te dirais aussi que le milliardaire pourrait utiliser un système de cartographie de l’activité du cerveau pour voir si l’intention est bien authentique.
Et en sachant que la fiole contient une toxine, je crois qu’il faudrait être vraiment convaincu pour passer le test de l’encéphalogramme.
Dans un labs de temps aussi court, changer d’intention ne me semble pas plausible. A moins peut-être que la personne apprenne des choses croustillantes au sujet du milliardaire qui lui donneraient une bonne raison pour ne pas boire la fiole.
@lionel : la réciprocité, je ne sais pas si elle jouerait parce que le milliardaire n’en saurais rien si on ne boit pas la fiole, et de toute façon il a bien dit qu’on est libre de la boire ou pas.
@Olivier : tiens donc. Moi j’avais une règle aussi en sport. Je faisais des courses de vélo, et même si j’étais lâché par le peloton, je m’était promis de toujours terminer chaque course. Et j’y suis quasiment chaque fois arrivé 🙂
@Nathanael : merci de passer me faire un petit coucou 🙂
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